(Billet 880) – Visa Schengen, une arme face à laquelle le Maroc demeure désarmé

(Billet 880) – Visa Schengen, une arme face à laquelle le Maroc demeure désarmé

La dernière décision du gouvernement fédéral du Canada sur les visas pour les Marocains est passée inaperçue, et pourtant elle revêt une importance tant pratique que symbolique. Il semblerait que pour cette question de visa, le pays d’Amérique du Nord réfléchit plus, et mieux, que les Etats Schengen. Pour ces derniers, non seulement la procédure particulièrement lourde est immuable, sauf dans le sens de la complication, mais le visa est aussi une arme de rétorsion, de sanction, de punition des Etats « indociles ». Et cela ne changera pas tant que des pays comme le Maroc ne s’impliquent pas dans la défense de leurs citoyens.

En effet, face à la passivité des Etats qui, comme le Maroc, ne prennent ni n’entreprennent aucune mesure de réciprocité ou au moins d’atténuation des conditions de délivrance d’un visa, les Etats comme ceux du cartel de Schengen persisteront à serrer et desserrer l’étau comme ils l’entendent. Et cela n’est pas fait pour ménager la dignité des populations demandeuses de visa pour bénéficier de leur droit à la mobilité que leur autorise les textes juridiques internationaux.

Autrefois, on entrait en Europe comme on le voulait, et on en revenait. Puis ce fut le commencement des tracasseries, et le visa. Au départ, les demandeurs avaient accès aux différents consulats, avant que les Etats européens ne décident d’en interdire l’accès aux citoyens demandeurs, priés, ou plutôt sommés, de s’adresser à une entreprise privée qui récolte toutes sortes d’informations personnelles. Mais tout cela, on le sait, on le regrette, on le subit, et personne n’a le choix.

Vraiment ? Ce n’est pas si sûr car un Etat qui a la volonté de faire respecter ses citoyens a plusieurs moyens d’agir. Et le Maroc dispose de ces possibilités.

1/ D’abord la réciprocité. On entend déjà les très vives protestations des opérateurs touristiques qui objecteront, protesteront, contesteront… une mesure qui, pourtant, s’impose. Les deux principales nationalités de touristes restent la France et l’Espagne, mais dans les contingents comptabilisés figurent les binationaux. Si l’on retranche les visites familiales et les voyages d’affaires ou universitaires des Français et Espagnols vers le Maroc, pour lesquels des aménagements peuvent être pensés, le reste des touristes en provenance de ces deux pays devrait être soumis à des mesures de visas à l’aéroport, avec paiement d’une taxe et fourniture de renseignements sur la durée du séjour.

Avec toutes ces conditions, le royaume n’y perdrait pas beaucoup, du moins pas autant que cette mesure de « réciprocité douce » lui apporterait en termes de souveraineté pour l’Etat et de dignité pour ses citoyens.

Bien sûr, les opérateurs et autres professionnels du tourisme refuseront telle politique, mais il est toujours difficile et malaisé de quitter ses zones de confort et d’aller vers d’autres marchés, en commençant par le marché domestique, ignoré voire snobé par nos hôteliers, au vu des tarifs appliqués.

2/ Reprendre l’enquête qui semble avoir été abandonnée sur les activités de TLS qui, en janvier, avait été épinglée par la CNDP, sans que l’on...

entende encore parler de cette affaire, de ses suites et de ce qui devrait logiquement et idéalement être ses conséquences. Et pourtant, tant de nos concitoyens ont été espionnés, filmés à leur insu et leurs images envoyées à « deux institutions gouvernementales à l’étranger », à des fréquences d’une fois toutes les cinq minutes. C’est grave, et c’est encore plus grave que l’affaire en soit restée là car le gouvernement marocain sait aujourd’hui, preuve et aveu à l’appui, que TLS « espionne » ses ressortissants.

Où en est cette enquête ? Quelle sanction ou mesure le gouvernement prendra-t-il contre TLS, s’il en prend ? Quid des informations personnelles que TLS recueille au nom des consulats qui la mandatent ? Pourquoi, pour certains pays, TLS conserve-t-elle les passeports des demandeurs plusieurs semaines durant ? Plus grave que les frais perçus pour des demandes de visas qui seront finalement rejetées, quelle utilisation est faite des informations personnelles ? Sont-elles détruites ou, comme on s’en doute, précieusement conservées pour usages futurs ?

Un Marocain, livré à TLS, doit attendre et s’armer de patience pour trouver un rendez-vous, aller le jour dit et attendre dans la rue, sous le soleil ou la (rare) pluie, avant d’être admis à entrer et, une fois dans les locaux de la société, il n’a pas le droit d’utiliser son téléphone, remet les documents résumant sa vie à des agents privés… et attend qu’on veuille bien le contacter pour le fixer sur le sort réservé à sa demande. Comment peut-on encore accepter cela ? Pourquoi notre gouvernement tolère-t-il encore ce type de comportements d’un autre âge ?

3/ Refuser TLS et proposer de remplacer la société par un organisme d’Etat. Nous le disons et nous le redisons, pourquoi le gouvernement marocain ne propose-t-il pas de se charger lui-même de la réception des dossiers des demandeurs, dans des conditions qui respecteraient un peu plus la dignité de ces derniers ? Aujourd’hui, tout Marocain désireux de se rendre en Europe Schengen est livré au bon vouloir de TLS et de consulats qui ne prennent pas la moindre mesure en sa faveur ; il n’est plus demandeur mais quémandeur, il « sollicite » un visa qu’on lui « octroie », ou non, selon des conditions qui demeurent opaques et arbitraires, non susceptibles de recours. Que le Maroc introduise cette proposition, et qu’il laisse les Etats concernés le refuser s’ils veulent, ils n’en seront que plus responsables des travers et dérapages de cette procédure TLS.

Un citoyen du royaume du Maroc vaut mieux que tout cela, du moins a-t-on la faiblesse, ou l’ingénuité, de le penser… Le gouvernement en général, le ministère des Affaires étrangères en particulier, devraient y penser, aussi, surtout quand on sait que le visa est, plus qu'une entrave à la mobilité des citoyens, un moyen de rétorsion contre l’Etat marocain

Les gouvernements Schengen ne sont décidément pas celui du Canada, mais le Maroc peut bien prendre quelques mesures aussi, si bien sûr son gouvernement endosse le souci de sa souveraineté et de la dignité de ses citoyens.

Aziz Boucetta