(Billet 1047) – Etudiants en médecine, infirmiers... le gouvernement hagard et égaré !
Quand un peuple, ou une catégorie de peuple, se télescope avec l’autorité publique de tutelle, et quand il n’y a pas d’accord, c’est à cette autorité publique de se remettre en question, de trouver des solutions, ou de partir. Pourquoi ? Parce qu’un peuple, ça ne démissionne pas plus que ça ne se remet en cause. Un peuple agit, rugit, et à la fin gagne. Ce sont là des réflexions politiques basiques, mais que notre gouvernement semble ignorer, comme il le montre encore dans l’affaire des étudiants en médecine et en pharmacie.
L’affaire est pourtant simple, le Maroc a un cruel besoin de médecins, comme en témoignent ces chiffres : le royaume devrait compter 55.000 médecins, selon les critères OMS, mais il n’en dispose que de 23.000, ce qui conduit à combler un besoin d’une trentaine de milliers de médecins, qu’il faut non seulement former mais aussi maintenir au pays. Or, depuis plusieurs années, le gouvernement est engagé dans un bras de fer avec ces étudiants de médecine, mais aussi de médecine dentaire et de pharmacie.
Ce sont les deux ministres Khalid Ait Taleb (Santé) et Abdellatif Miraoui (Enseignement supérieur) qui conduisent les négociations, mais ils font ce que ce gouvernement fait de mieux, aligner des chiffres : 14 réunions entre janvier 2023 et février 2024, 45 propositions estudiantines acceptées sur un total de 50… Oui, mais cela ne semble pas suffire ; sans doute que les 14 réunions n’ont pas été au cœur du problème et peut-être que les 5 propositions restantes sont les plus importantes.
Cette semaine, à Rabat, énième manifestation des étudiants, mais là, un peu d’énervement gouvernemental. Il ne faut cependant pas être naïf, car les étudiants peuvent être durs à la négo, sourds aux recommandations et disposés de laisser pourrir les choses ; ils se sentent et sont en position de force et donc agissent en force Mais de là à voir ces étudiants en blouses blanches ciblés par les puissants jets d’eau des forces de l’ordre, voilà qui est gênant… Gênant et indélicat car quand on arrose des étudiants en médecine (ou d’autre chose) qui revendiquent quelque chose, non seulement on ne calme pas leurs ardeurs, mais on leur donne une raison supplémentaire de partir !
Les revendications des étudiants sont certes aussi longues que les souffrances d’une maladie incurable, mais ne sont-ils pas en droit de les présenter ? C’est sûrement complexe, c’est sans doute « non objectif » comme le suppose le gouvernement, c’est peut-être même abusif, mais personne n’a jamais dit que le travail d’un ministre était aisé. Il faut négocier sans discontinuer, proposer des solutions nouvelles si celles déjà avancées ne sont pas retenues, il faut tout faire pour ne pas rompre le dialogue.
Et si le dialogue est rompu, alors il est temps que le gouvernement se remettre en cause. Un peuple, ou une catégorie de peuple, ne peut avoir tort. Et si ladite catégorie se sent en position de force, alors il est évident qu’elle accentuera sa pression, et c’est le cas avec les étudiants en médecine, en médecine dentaire et en pharmacie, dont l’Etat a cruellement besoin pour conduire sa réforme phare de la protection sociale généralisée.
Mais disons les choses encore plus clairement, le principal point de discorde reste, avec la suppression des sanctions et la volonté de sauver l’année académique, la réduction des années d’études de 7 à 6 ans pour les étudiants en médecine. L’Etat, suspicieux, pense – et certainement à juste titre – qu’avec 7 ans, les étudiants pourraient migrer vers des terres plus accueillantes, ou du moins le pensent-ils, où les conditions de vie sont meilleures et les cadres de travail encore bien meilleures, et où les gouvernements ne leur envoient pas des canons à eau.
Là, arrêtons-nous sur ce dicton marocain qui dit qu’ « aucun chat ne quitte la maison où il y a fête ». Il semblerait que pour les jeunes médecins au Maroc, ce ne soit pas toujours la fête... Le système semble verrouillé, avec ses cliniques privées qui fleurissent et prospèrent, s’accaparent de grosses parts de marché, les structures publiques sont sous-équipées, malgré un effort louable de l’Etat dans ce domaine, mais seulement dans les grandes agglomérations et, depuis peu, moyennes aussi ; l’exercice de la médecine dans le royaume n’est donc plus aussi attractive qu’avant… surtout que, contrairement à avant, la migration internationale des médecins donne des idées, puis des ailes, aux jeunes médecins marocains. 14.000 praticiens marocains exercent à l’étranger, la moitié de nos besoins en médecins !
C’est sur cela que le gouvernement doit réfléchir, mais cela est difficile, très difficile : calmer les ardeurs mercantiles du privé et redresser le secteur public en le dotant de moyens est une tâche d’ampleur et de grande durée. Mais plus ardue, bien plus difficile est l’instauration (pas le rétablissement, l’instauration) de la confiance dans ces autorités gouvernementales qui semblent, qui sont, dépassées par les événements, au point de faire donner la troupe contre ces étudiants, futurs soigneurs des maux des marocains.
Non contents de s’être aliénés les futurs médecins qui se sont fait promettre monts et merveilles mais qui n’ont obtenu aucun PV signé sur ces engagements, voilà que les professionnels de la santé annoncent à leur tour une grève ouverte jusqu’au 26 juillet (en dehors des urgences), pour non-respect des engagements salariaux pris par le gouvernement en janvier dernier en faveur des infirmiers et des techniciens de santé.
Le même gouvernement vient de titulariser 83.000 fonctionnaires, en plus des 33.000 déjà titularisés. Il a fallu pour cela bloquer le système de l’éducation nationale avec des grèves ininterrompues et une menace d’année blanche. Suite à cela, le gouvernement avait cédé. Et qui a cédé cédera encore, alourdissant d’autant les charges publiques. C’est cela, le gouvernement Akhannouch après deux ans et demi d'exercice…
Aziz Boucetta