(Billet 1041) - La France a peur... le Maroc observe
« La France a peur », disait le présentateur télé dans les années 70, suite à une affaire de droit commun. Cinquante ans après, la France a toujours peur, mais cette fois-ci pour plusieurs raisons : peur du terrorisme, peur de la paupérisation, peur de l’extrême-droite qui arrive à grands pas en se frottant les mains, peur de l’incertitude, peur de Vladimir Poutine, peur de cet étrange concept d’islamo-gauchisme... Les Français n’en peuvent plus d’avoir peur… divisés, effrayés, bousculés, sans doute même hagards. Plus au sud, le Maroc, concerné par cette élection de tous les dangers, observe…
La France est coutumière de ce genre de situations. Sa très riche histoire, parce que justement très riche, fourmille de périodes de doutes où les uns s’en prennent aux autres dans une ambiance de guerre civile. Sans remonter aux siècles passés, juste au dernier, la France a connu une sombre période de collaboration pétainiste, puis le coup d’Etat militaire d fameux quarteron), et ensuite l’arrivée du président Macron, qui a achevé de détruire ce qui le devait être. Cet homme a siphonné la droite, dévoyé la gauche, sans créer quelque chose de durable à la place ; pendant ce temps, le Front, devenu Rassemblement, rampe à bas bruit, puis se révèle, se dévoile, s’émancipe, se décomplexe et se précipite vers ce qu’en France, ils appellent « le pouvoir », et la population avec lui.
Le président, quant à lui, malmené, désavoué, rejeté, moqué, honni, a été rudement sanctionné lors des dernières élections européennes. Il a mal pris la chose et, mauvais perdant, a créé, « avec lui, le déluge ». Une dissolution avec un RN au plus haut dans le cœur des Français, à 15 jours des Jeux Olympiques ; cela signifie qu’en France, l’instant xénophobie, crispation, flicage, instauration d’une citoyenneté à deux vitesses, le tout justifié et soigneusement entretenu par une permanente menace d’insécurité, a sonné. La preuve en est le manifeste désarroi de la ci-devant et désormais moribonde majorité présidentielle, la formation en catastrophe d’un Front populaire de gauche, des médias ayant définitivement perdu la boussole et la morale, attaquant de plus en plus en meute, Bolloré qui monte aux créneaux et se dévoile…
Qu’arrive-t-il donc à ce grand pays dont l’étoile est montée si haut dans l’Histoire avant qu’il ne tombe aussi bas aujourd’hui ? « Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années », professait Corneille. Certes, mais tout de même ; un président de 39 ans, record, un premier ministre de 34 ans, re-record, et un potentiel et futur premier ministre de 28 ans. Accroc ! Cet homme n’est qu’un avatar de Marine Le Pen, fille de son père. Sans expérience publique connue ni compétence académique reconnue, mais avec beaucoup de prestance et d’élégance physique, M. Bardella est l’incarnation de la politique Tik Tok et des tactiques de dissimulation.
Qu’on ne s’y trompe pas, le futur Premier ministre de France sera Marine Le Pen, qui compte bien tenir Matignon pour ne pas obérer ses chances d’entrer en 2027 à l’Elysée, enfin ! Et qu’est-ce que Marine Le Pen ? La tenante de l’extrême-droite dure, qui a des comptes à régler, des revanches à prendre, des politiques à installer et des gens, des milliers, des dizaines de milliers de gens à expulser ou incarcérer. La France fut un Etat policé, qui est aujourd’hui en marche pour devenir policier. Et c’est précisément cela qui inquiète, entre autres, le Maroc.
Les relations entre les deux pays, anciens amis devenus antagoniques, traversent une phase difficile qui n’en finit pas. Comme pour et dans tout le reste, Emmanuel Macron a semé la ruine et la dévastation dans cette relation qui s’est toujours rétablie après les incompréhensions. Ces derniers mois, une détente a commencé à se dessiner, même si le président a toujours du mal à se décider et surtout à convaincre de sa bonne foi. Survient le 9 juin et le séisme politique français. Macron, non content de ne pas favoriser une 6ème République, ramène son pays au difficile parlementarisme de la 4ème. Que fera alors le RN à Matignon, au Quai d’Orsay, à Beauveau ? Il donnera libre cours à sa xénophobie, ira donc sortir de leurs tiroirs les milliers, les dizaines de milliers d’OQTF (obligation de quitter le territoire français), et entreprendra de tordre les bras aux gouvernements concernés, dont celui du Maroc.
Comment faire ? Les caciques du RN répondent à l’unisson, avec beaucoup d’ingénue ignorance, qu’ils activeront le levier de la réduction du nombre de visas accordés aux Marocains, qu’ils conditionneront l’aide publique au développement (sic), qu’ils agiront sur les autorisations de transferts des Marocains de France vers le Maroc… En un mot, qu’on allait voir ce qu’on allait voir ! Et en un autre mot, la France RN versera dans la crapulerie et sera attaquée devant les cours de justice internationale, en plus d’être encore plus cornérisée qu’elle ne l’est déjà du fait d’Emmanuel Macron.
Et en interne ? Et bien en interne le RN créera le concept de Français de seconde catégorie, les Français de papiers, rang venant juste au-dessus de celui des « sans papiers », voués à l’enfer, aux fers et aux transferts. Ainsi, ce sont près de 2 millions de Marocains vivant en France, dont plus de 700.000 binationaux, qui risquent d’être inquiétés. Qu’adviendra-t-il d’eux ? Seront-ils « rétrogradés » à une catégorie inférieure, comme le montre l’intention de plusieurs cadors RN ? Seront-ils ostracisés, marginalisés, … ? L’avenir proche le dira.
Et pour la question du prisme, que fait-on ? Les accords et autres partenariats signés cette année avec la France de Macron seront-ils toujours valables sous celle de Bardella/Le Pen s’ils sont en situation ? L’avancée de Paris sur le dossier du Sahara deviendra-t-elle effective, en dehors des promesses peu crédibles de l’équipe Macron/Attal ? Ce qui semble sûr, en revanche, est qu’une fois le RN à Matignon, cela ne tardera pas à exploser entre Alger et Paris, le RN et surtout son ancêtre Front national étant nés sur les décombres de la guerre d’Algérie.
Dans la situation actuelle que connaissent nos amis Français, même Nostradamus n’aurait pas vu clair. Et c’est dans cette incertitude et cette opacité que le Maroc, entre autres pays, observe, et que… « la France a peur » !
Aziz Boucetta