(Billet 835) – Hausse des prix, Aziz Akhannouch et Abdellatif Jouahri en ont perdu la voix !

(Billet 835) – Hausse des prix, Aziz Akhannouch et Abdellatif Jouahri en ont perdu la voix !

Un Conseil de Bank al-Maghrib atypique à bien des égards. D’abord, un relèvement du taux directeur pour la 3ème fois consécutive, atteignant 3%, puis un communiqué de la banque centrale mis en ligne puis retiré avant d’être remis en ligne, et enfin, le wali Abdellatif Jouahri qui annule sa conférence de presse au dernier moment. Il se passe indéniablement quelque chose de grave mais, bien entendu, personne pour en dire plus, et encore moins le principal concerné, Aziz Akhannouch.

Etat des lieux en février 2023, selon le HCP : « Inflation en hausse à 10,1% (indice des produits alimentaires de 20,1%) », et en janvier 2023, toujours selon le HCP, « inflation de 8,9% (indice des produits alimentaires de 16,8%) ». Inflation à deux chiffres, donc, après une prévision par la banque centrale d’une inflation moyenne à 3,9% en 2023, 2% pour le très optimiste gouvernement ; la prévision est donc relevée à 5,5% pour l’année en cours. Quant à la croissance, Bank al-Maghrib l’avait estimée pour 2023 à 3%, avant de la ramener à 2,6%, contre 4% pour le gouvernement.

Les prix ne baissent donc pas, certains ministres s’essaient à les comparer avec ceux d’autres pays, ce qui est idiot, et ne parviennent pas à maîtriser ou à contrôler ces envolées de prix des produits alimentaires essentiels, alors que nous sommes pourtant en plein dans ce mois de ramadan qui les inquiétait tant. Le gouvernement se démène donc et la banque centrale assène. Dans son communiqué furtif qui surgit, s’escamote et réapparaît, les chiffres ne sont pas bons, mais alors vraiment pas, et Bank al-Maghrib insiste sur la décompensation prévue pour 2024, ce qui rappelle l’extraordinaire cafouillage de Fouzi Lekjaa à ce propos, précipitamment rétropédalé quelques jours après par Nadia Fettah, en novembre dernier.

Quel est le rôle de la banque centrale ? Elaborer, en toute indépendance, la politique monétaire du royaume et conduire, en toute autonomie, les mesures de contrôle de l’inflation. Mais, pour autant, augmenter le taux directeur à 3% est-elle une bonne idée ? Les économistes sont partagés, et globalement, ils sont plutôt opposés à cette mesure, car relever ce taux directeur pénaliserait bien plus l’investissement et la consommation de biens non alimentaires qu’elle ne ralentirait la hausse des prix des produits alimentaires, qui ont bondi de 20% !

Résumons : Bank al-Maghrib prend une décision qui ne va pas du tout dans le sens du gouvernement, fait une annonce embarrassante sur la décompensation, un domaine pourtant éminemment politique, et contredit rudement le gouvernement sur les grands agrégats. Le wali de Bank al-Maghrib renonce à s’exprimer, ne fixe aucune date pour cela, et le gouvernement, à son habitude, ne dit rien ou bien, par la bouche de son porte-parole, n’importe quoi.

Pendant ce temps-là, les prix des denrées alimentaires essentielles s’envolent et ne semblent pas prêts...

d’atterrir, après que le gouvernement Akhannouch ait dit avoir tout fait, et plus encore, pour assurer des prix raisonnables, mais hélas… Allah ghaleb, reconnaît le fâcheux porte-parole.

Le gouvernement a donc échoué à contrôler les prix, s’en prenant aux spéculateurs et couinant « c’est pas moi, c’est l’autre », mais oubliant qu’un gouvernement est censé gouverner et que s’il ne peut pas ou s’il ne sait pas ou les deux, alors il s’en va. Ou au moins il explique. Mais, hormis le grondement grandissant de la population, personne ne pipe mot et tout le monde reste coi.

On sait que quand M. Akhannouch parle, c’est au mieux un événement, au pire un désastre, mais il pourrait au moins oser défendre sa politique devant l’opinion publique, une politique mise à mal par le nouveau taux directeur ; il n’a pas osé pour le taux, et il n’a plus rien proposé pour les prix et l’inflation. Pour sa part, lorsque M. Jouahri s’exprime, c’est au pire une conférence, au mieux un régal. Le public s’intéresse aux prises de parole d’Abdellatif Jouahri pour la forme et pour le fonds : le wali de Bank al-Maghrib sait en effet admirablement user et même abuser de son inimitable et délicieux accent fassi, comme il est passé maître dans l’art des petites phrases. Toujours pertinentes, souvent impertinentes, parfois même persifleuses, assénées ou susurrées par le grand commis de l’Etat, et il y a aussi les explications du professeur d’économie, doctes, sobres, justes. Ainsi est la communication de Ssi Jouahri. Alors, quand il ne dit rien, c’est qu’il ne sait quoi dire ou plutôt ne peut rien dire, et dans les deux cas, c’est grave… Bank al-Maghrib ne nous a pas habitués à ce genre de travail improvisé, précipité, bâclé, peu assuré, peu rassurant.

On dit les deux hommes opposés sur la conduite à tenir face à la conjoncture économique et la réalité monétaire. Ils ne sont pas obligés d’être d’accord sur la théorie, mais ils sont tenus de s’accorder sur l’essentiel, et l’essentiel est l'action, l'information et l'explication.

Donc, alors que l’inflation est désormais à deux chiffres, nous avons un communiqué de la banque centrale qui joue au yoyo, le wali de cette même banque qui disparaît sans raison valable autre que de mystérieuses « raisons personnelles », un porte-parole qui reconnaît l’incapacité du gouvernement à gouverner, un chef du gouvernement qui renonce à ses responsabilités politiques, pendant que les prix d’à peu près tout, l’alimentaire surtout, qui volent et s’envolent.

Le casting gouvernemental est-il rassurant, voire compétent ? Il faut croire que non. Doit-on s’inquiéter ? Il faut dire que oui.

Aziz Boucetta