(Billet 832) – Au Maroc, gouvernement politique ou think tank pour technos ?
Il ne se passe pas un mois sans que l’un ou l’autre des ministres du gouvernement Akhannouch ne présente en grande pompe un plan de quelque chose … Au vu du nombre de plans pensés, imaginés, élaborés et annoncés, à force d’éclater le Maroc en plans, le risque est considérable de le voir terminer en planeur volant à (courte) vue. Car comme le faisait si justement remarquer Philip Kotler « si vous échouez la planification, vous planifiez l’échec ».
Le problème que nous connaissons dans le pays n’est pas tant la production de plans sectoriels que leur prolifération, leur multitude, et plus ils se multiplient, plus il est difficile d’en assurer une convergence qui fasse sens. Les plans sont verticaux, top down selon la novlangue en vigueur dans les cabinets ministériels, conçus dans des tours de verre pour être applicables à des populations ébahies. Mais la verticalité ne garantit pas nécessairement la transversalité, surtout dans les conditions de versatilité de la conjoncture et des attentes.
Qui dit emploi dit travail, et qui dit TAF dit investissement, et qui dit investissement dit argent, alors ? Alors on pense ! On se réunit et on communie, on cogite et on s’agite, on ajuste le tir mais on tire souvent des plans sur la comète. Chaque ministre joue sa partition, commande son étude, établit un plan ou concocte une politique, convoque la presse, organise des grand-messes, fait des annonces et promet monts et merveilles, large sourire aux lèvres. Parfois, le chef du gouvernement est invité et, s’il a véritablement compris de quoi il retourne, il déroule lui aussi ses Excel de l’excellence. Puis on range les tables et les dossiers, tout le monde s’en va, non sans s’être promis de bien faire et de surtout se donner rendez-vous pour le plan suivant, le mois suivant…
Et cela donne des plans et des programmes, fondés sur des études et des recherches, imaginés par des stratèges, déclinés par des experts, célébrés par des communicateurs, destinés en principe au tout-venant mais finissant généralement entre les mains tatillonnes des magistrats effarés de la Cour des comptes, plusieurs milliards envolés dans l’intervalle, dans la nature, dans l’insouciance.
Des rustines supposément planificatrices… Le plan de relance du tourisme, avec l’objectif d’attirer 17,5 millions de touristes en 2026 et 26 millions en 2030, sûrement plus, plus tard… le plan pour sécuriser les ressources hydriques… le plan pour augmenter le nombre d’étudiants en médecine… le plan ESRI… le programme Awrach et son complice Forsa… le plan de transformation numérique, et encore le plan de transition énergétique, et aussi le plan pour l’émergence d’une classe rurale dans le monde rural… le plan d’action pour la promotion de l’investissement (du grandiose)… le plan d’amélioration du climat des affaires et l’accélération de l’investissement privé… le plan de l’eau, le plan de l’électricité… et bien évidemment, le plan d’action pour l’édification de l’état social (rien que ça), avec les très messianiques « 10 engagements » du gouvernement Akhannouch. Le tout rédigé dans cet inimitable galimatias de techno, taillé à la tronçonneuse, censé convaincre les gens à défaut de vaincre les problèmes.
Plus préoccupants ces plans développés pour le développement régional, les fameux PDR, tous ou presque élaborés à prix d’or par des seniors fhmator embusqués dans des cabinets d’études, de conseils, de stratégie, de prospective, de tout… chargés de mettre en musique ces documents avec les SRAT, les SNAT et autres SDAU et plans d’aménagements urbains. C’est beau, c’est grand et il y en a pour tout le monde !
Mais théoriquement et idéalement, le seul plan qui doit primer est ce qu’on appelle le Nouveau modèle de développement. 36 personnes avaient sérieusement planché 18 longs mois durant sur l’état du Maroc, ses faiblesses, ses forces et ce qu’il doit faire avec les deux. Mais il semblerait que ce NMD soit devenu aujourd’hui une référence bien plus affective qu’effective, le gouvernement Akhannouch ayant pris une voie qui est la sienne, avec le NMD accroché au mur pour que le monde se souvienne et que les historiens, un jour lointain, le célèbrent.
Mais le gouvernement, lancé à toute vapeur, a décidé de raboter ce NMD en en imaginant une déclinaison savante, délicatement qualifiée de scénario « light », inscrit dans le cadre d’un autre machin appelé « Politique nationale de l’emploi et de l’entrepreneuriat ». Le taux de croissance préconisé par le NMD de 6,5% ? Oublié. La création d’un million d’emplois lors de cette mandature ? Diffuse. Le projet de porter le taux d’activité des femmes à 45% en 2035 ? Carbonisé. Va donc pour le « light », souligné par le couplet patriotique qui va avec.
Et au final, avec ses plans et ses études, ses prospections et ses recherches, ses cabinets conseils et ses conseils grassement payés, le gouvernement, de force exécutive se transforme en think tank qui produit des idées, promptement évacuées par des idées meilleures, et imagine des politiques publiques sitôt remplacées par d’autres politiques publiques.
Et à force de surjouer la mise du Maroc en plans, dans l’intervalle sa population est laissée en plan !
Aziz Boucetta