(Billet 817) – Ce n’est pas le froid qui tue, c’est la froideur des responsables

(Billet 817) – Ce n’est pas le froid qui tue, c’est la froideur des responsables

Le gouvernement marocain ne sait-il donc pas que généralement, les premiers mois de l’année, il fait très froid et que nous sommes un pays à reliefs et donc à climat rude durant ces mois d’hiver ? Et ainsi, chaque année, ce sont de grandes manœuvres qui ont lancées par monts et par vaux, dans ce Maroc plus « inutile » que jamais, en attendant les outrages du froid de l’année suivante.

La semaine dernière, un message audio a abondamment circulé sur les réseaux, avec la voix d’une femme en détresse, appelant à partager son audio à très grande échelle afin que nul n’ignore… n’ignore quoi ? La situation désastreuse des populations dans la région d’Ouarzazate, qui a rarement connu de telles chutes de neige, photos à l’appui. Des instructions royales plus tard, et la machine technico-administrative se met en branle. On peut s’étonner de cette récurrence des messages royaux à destination des responsables qui semble-t-il, n’auraient pas eu l’idée d’agir, sans instructions.

Et chaque année, c’est la même chose ! Pourtant, en 2008, le roi Mohammed VI s’était rendu sur place, au lieudit Anfgou (province de Midelt), où une trentaine d’enfants étaient morts de froid l’année précédente. Relisons cette phrase, lentement : une trentaine d’enfants sont morts de froid à Anfgou, dans le Maroc du 21ème siècle. Le chef de l’Etat avait donc fait le déplacement, visité les populations sinistrées et procédé à la distribution des vivres, couvertures et médicaments manquants. Cela peut arriver, des catastrophes sont toujours possibles.

Le problème est qu’en 2018, le roi a encore donné ses ordres pour installer un hôpital de campagne dans le même village d’Anfgou. Dix ans après le décès de ces trente enfants, rien n’avait été fait, ou presque. Voilà, entre autres, à quoi servirait la reddition des comptes par les différents responsables qui se sont succédé aux fonctions d’administration dans la région, élus, cadres et agents. Soit ils ont demandé des budgets qui ne leur ont jamais été accordés, soit ils n’ont rien fait, et dans les deux cas, il y a des responsables qui doivent rendre des comptes et être sanctionnés pour indifférence meurtrière.

Mais Anfgou n’est que l’exemple emblématique des défaillances des responsables, puisque chaque année, le roi doit donner ses instructions pour porter secours aux populations sinistrées. L’armée s’active, ses avions décollent de toutes parts et ses hélicoptères atterrissent nulle part, la Fondation Mohammed V pour la solidarité se solidarise… et tout cela inspire les ministères de la Santé et de l’Intérieur qui déploient leurs gros moyens.

Fort bien, mais où étaient-ils, ces deux ministères, pendant que la météo lançait ses bulletins d’alerte...

? Et surtout, que faisaient-ils entre les mois de mars et de septembre, quand il est possible d’agir sans craindre de nombreux morts et pour éviter de grandes souffrances aux populations ? Le Maroc, ce n’est pas seulement Guéliz, Dar Bouazza, Hay Riyad !

Il est toujours affligeant, douloureux, poignant, de voir ces gens dignes mais désargentés, venir avec résignation prendre leurs sacs de denrées alimentaires, de produits sanitaires et de couvertures, comme si cette région du Maroc se trouvait dans un quelconque pays catastrophé par la guerre civile, par un séisme ou une inondation, ou autre cataclysme naturel ou humain !!

Que le roi agisse et donne ses instructions, il est dans son rôle, puisque les responsables n’ont pas rempli le leur. Mais une fois que ces instructions sont données, que les ordres soient exécutés et que les produits soient distribués, tout rentre dans le désordre… le wali, le gouverneur, les présidents élus de tout ce qui a besoin d’un président, commune, province, région, chambres professionnelles, secrétaires généraux et chefs de divisions,… tout le monde rentre chez lui, avec cet agréable sentiment du devoir accompli qui réchauffe le cœur, même si d’innombrables personnes restent dans le froid, et le seront encore l’année prochaine.

Est-ce cela, un pays qui aspire à l’émergence économique, qui déclare son émergence géopolitique ? Un pays où des enfants meurent encore de froid, où des villages demeurent enclavés, où des citoyennes enregistrent des audios qu’elles demandent désespérément à faire circuler pour que, à défaut d’une improbable conscience administrative, le roi donne ses instructions… Est-ce ainsi qu’on espère attirer des cinéastes étrangers à Ouarzazate ? Est-ce ainsi que le chef du gouvernement et le ministre de la Justice, natifs de Tafraout et de Taroudante, rendent hommage aux villes qui les ont vus, un jour, naître ? Il est inutile de vouloir paraître aussi gros qu’un bœuf quand on n’est qu’une grenouille et qu’il existe encore et toujours ce Maroc inutile que personne ne veut plus voir mais que les responsables, technocrates soient-ils ou politiques, élus ou nommés, refusent de voir.

Le roi donne ses instructions, la société civile se mobilise, les réseaux sociaux partagent et rapportent, et les médias aussi… mais rien ne se fera durablement sans l’action décisive et radicale de l’administration, avec ses cadres nommés et ses responsables élus. Et tant que rien ne se fait et que chaque année, de pleines populations vivent dans le froid glacial et voient leurs enfants souffrir, voire mourir, il ne sert à rien de se présenter à l’international pour ce qu’on n’est pas encore.

Aziz Boucetta