(Billet 799) - Maroc vs UE : Le parlement européen en pointe, la France en embuscade

(Billet 799) - Maroc vs UE : Le parlement européen en pointe, la France en embuscade

Cette semaine, au parlement européen à Strasbourg, une résolution a été votée contre le Maroc, sur la situation des droits humains dans le pays, pour la 1ère fois depuis un quart de siècle. On sentait le coup venir, puis on l’a vu se produire… Depuis la résolution de juin 2021 sur la migration à Sebta, puis les récents propos de Josep Borrell concernant les droits humains à Rabat, les choses se préparaient. Il ne faut pourtant pas s’y tromper. Dans cette affaire, le parlement européen n’est qu’un instrument, et le rôle de la France est évident. Il ne s’agit nullement d’un « complot », mais d’une véritable guerre d’influence où toutes les armes et tous les coups ne devraient pas être permis, et pourtant...

Dans cette affaire parlementaire européenne, la main de « notre amie la France » agit dans plusieurs directions, usant tour à tour de l’institution de Strasbourg et instrumentalisant la Belgique. Il faut reconnaître ici une certaine maîtrise dans l’art de la manipulation, avec la Belgique toujours au centre. On retrouve le petit royaume dans l’inculpation de la vice-présidente du parlement européen, comme on le retrouve d’ailleurs dans une autre affaire franco-marocaine, celle de l’imam Iquioussen où la Belgique a servi la France. Et d’autres encore…

Revenons à cette résolution du parlement européen de cette semaine. Elle a été initiée par plusieurs groupes, menés entre autres par Renew et les Verts/ALE. Renew est un groupe dont l’une des composantes essentielles est le parti français Renaissance du président Macron, dirigé par un de ses hommes-lige, Stéphane Séjourné. Le jeu s’éclaircit et les doutes se confirment… Quant aux Verts/ALE, ils comptent parmi leurs membres deux députées européennes françaises, Karima Delli et Salima Yenbou, qui se sont illustrées dans la condamnation régulière du Maroc.

Tout cela est de bonne guerre, sauf que dans les noms ayant déposé le projet de résolution, on ne retrouve aucun des eurodéputés français, qui sont pourtant montés au créneau pour défendre le texte, mais des élus venant d’Europe de l’Est. La dissimulation est aussi un art.

Dans cette résolution, les auteurs ne se soucient nullement des cas qu’ils sont supposés défendre, rédigeant un texte de type fourre-tout où tout passe : Le journaliste espagnol très critique à l’égard du Maroc Ignacio Cembrero, l’affaire Pegasus, la liberté de la presse, le Rif, les droits des femmes, la torture, les restrictions commerciales sur des produits de haute technologie, le « Hirak », les libertés … une sorte d’auberge espagnole où plus on met de choses et mieux c’est. Et tout cela dans un texte anormalement court au regard des standards du parlement de Strasbourg.

L’objectif est le Maroc, et on attaque avec tous les moyens et les armes à disposition : José Bové accuse Aziz Akhannouch de tentative de corruption (au début des années 2010 !), l’ambassadeur du Maroc en Pologne est accusé de corrompre à tour de bras les élus de Bruxelles, Pegasus est ressorti pour apeurer les élus et le public européen, les médias du service public Français accourent… Mais, bien évidemment, personne ne soulève le cas TLS, société en charge des visas...

pour la France et lobbyiste patentée au parlement de Strasbourg, qui envoie les images de vidéosurveillance des demandeurs de visa dans ses 7 centres au Maroc, toutes les 5 minutes, à des organisations gouvernementales à l’étranger, selon la CNDP. La DGSE ? Fort probable, elle a bien été à l’origine du Wikileaks marocain en 2014, selon Ignacio Cembrero …

En réalité, la France officielle, celle du président Macron, est en colère contre le Maroc et, pour mieux le faire condamner, elle utilise l’autre colère, européenne, contre le royaume en raison de son non soutien absolu dans la guerre en Ukraine. Quelle est la raison de la grande ire de Paris contre Rabat ? La bascule géopolitique du royaume de ce qui reste de la sphère d’influence française vers le bloc USA/Israël, mais aussi la défrancisation progressive, à bas bruit, de l’économie et de la société marocaines. Les services concédés (Lydec et autres) ne seront ainsi pas reconduits en 2026, le port en eaux profondes de Dakhla a été retiré aux entreprises françaises qui espéraient se renflouer avec cet immense ouvrage, le secteur bancaire encore détenu par le capital français commence à basculer sous capital marocain (Crédit du Maroc pour commencer), l’anglais remplace le français un peu partout, lentement mais sûrement… Et cela continue pour d’autres secteurs moins connus et pour d’autres affaires moins retentissantes.

Emmanuel Macron a ruiné la présence française en Afrique, boutée hors du Sahel et bousculée en Afrique centrale. Les anciennes colonies ne se reconnaissent plus dans leur ancienne puissance coloniale. Avec le roi du Maroc, le courant ne passe pas, et M. Macron n’a jamais effectué de visite officielle ou de travail dans le royaume, et même celle supposée intervenir avant mars 2023 semble compromise par cette résolution parlementaire européenne.

Au Maroc, hormis les éternels qui attendent ce type de texte pour s’en réjouir et qui ne regardent leur pays qu’à travers les yeux des Européens, la résolution passe mal et est rejetée. Les deux Chambres du parlement se réuniront en début de semaine à ce sujet, mais rien n’en sortira, sauf peut-être un texte aussi fade que celui de Strasbourg… Car comme pour l’Europe, ici au Maroc, c’est ailleurs qu’au parlement que les choses se jouent et que les grandes orientations se décident. Et elles seront contraignantes, sans tambour ni trompette, à commencer certainement par un autre report de la visite d’Emmanuel Macron dans nos murs et un ancrage économique et militaire encore plus marqué à d’autres sphères d’influence.

Le Maroc doit comprendre que l’UE n’est pas son amie et qu’elle ne l’a jamais véritablement été, en dépit de l’histoire et de la géographie, car un ami propose, et n’impose rien. Après avoir ruiné ses relations au nord avec la Russie, à l’est avec la Turquie et à l’ouest avec le Royaume-Uni, toujours plus ou moins sous l’impulsion française, voilà cette même UE boucler la boucle en commençant à s’aliéner profondément le Maroc. Il appartiendra à ce dernier de se donner les vrais moyens pour se défendre, ils sont économiques, politiques, sociaux, juridiques et judiciaires.

Aziz Boucetta