(Billet 1016) – La majorité politique, hier solution éventuelle, aujourd’hui vrai problème

(Billet 1016) – La majorité politique, hier solution éventuelle, aujourd’hui vrai problème

Au-delà de toutes les idéologies, théories, approches ou histoires, la politique est, simplement, destinée à régler les problèmes. Mais dans le monde actuel, et dans la majeure partie des Etats, la politique devient un problème, pour diverses raisons. Au Maroc aussi, notre classe politique devient un problème, pour des raisons spécifiques où la légèreté le dispute à l’insouciance.

Majorité, opposition, élections et institutions, ainsi fonctionne la scène politique et de cette manière est rythmée la classe politique. Nous avons des textes, de beaux et longs textes juridiques, législatifs, réglementaires… tout ce qu’il faut pour être dans les clous de la loi et de l’esprit et même de la lettre de la constitution. Somptueux ! Il ne reste qu’à avoir le personnel adéquat, mais cela est une autre affaire.

Et alors que tout semble fonctionner comme dans le meilleur des mondes, et que les présidents des deux chambres du parlement ont convoqué leurs troupes pour assister à la présentation du bilan de son mi-mandat par le chef du gouvernement Aziz Akhannouch ce mercredi 17 avril, qu’un rappel fort opportun a été adressé aux élus parlementaires la veille, mardi 16, voilà que le même jour tombe un autre avis, signé par les deux présidents, informant les élus que ladite séance du bilan est « reportée sine die ».

Pour quelle raison ? Pour quelle date ? Quelle est la raison de ce cafouillage au (presque) plus haut niveau de l’Etat ? Il semblerait que l’opinion publique ne mérite pas d’en savoir plus, et cela tombe bien, l’évènement n’intéresse plus cette opinion publique, hormis quelques inconditionnels en mal d’émotions fortes. Parmi eux, le journaliste Hamid Mehdaoui qui avait alerté sur la non légalité de cette séance, aux termes d’un article du règlement intérieur de la Chambre des représentants qui stipule que la date d’une telle séance doit être fixée par les bureaux des deux chambres. Le problème est que si le président de la première chambre, Rachid Talbi Alami, a été réélu (toutes nos sincères félicitations !), il n’en va pas de même pour le bureau. La séance du mi-mandat aurait donc été non réglementaire. Voilà.

Est-ce important ? Oui, car la loi doit être respectée, surtout par ceux qui la font… Non car quand on sait que par ailleurs, le règlement n’est pas toujours respecté et que la terre continue de tourner. L’exemple qui vient à l’esprit est le nombre extravagant de députés en délicatesse avec la justice, dont un membre du bureau qui a été récemment condamné à de la prison avec sursis, par contumace, pour chèques sans provision…

Plus grave encore… dans son message de félicitations au


président Talbi Alami, le roi a souhaité que la Chambre œuvre avec sérieux au contrôle et à l’évaluation de l’action gouvernementale. Or, face au ronron habituel émanant de cette chambre, et de l’autre aussi, on en conclut que soit le parlement ne remplit pas sa tâche soit que le gouvernement s’acquitte par-fai-te-ment de sa tâche. Le lecteur choisira.

Mais on peut d’ores et déjà dire qu’avec une majorité des deux tiers, reléguant l’opposition dans un coin obscur du parlement, l’institution législative sert davantage comme chambre d’enregistrement que comme chambre de députés. Les ministres y viennent, soliloquent sans risque, égrènent les millions et les milliards, parfois suscitent un buzz, quelque fois de l’intérêt, souvent des rires jaunes, et puis c’est tout. Le chef du gouvernement vient aussi à intervalles presque réguliers, après avoir raté des séances réglementaires au début de son mandat, sans que cela n’offusque outre mesure le bureau et l’institution ; il parle donc, ou lit, serait-il plus juste de dire, sous le regard de présidents silencieux (comme le laisse voir l’image d’illustration), affiche son immense satisfaction face à des députés somnolents, mais il a fait vœu de ne pas s’adresser directement à l’opinion publique, laissant ses lieutenants et « collaborateurs » gouvernementaux qui se reconnaîtront peut-être s’essayer à l’exercice. Les services de la primature, ou la primature elle-même, n’ont ainsi pas jugé utile d’expliquer aux Marocains pourquoi cette (quand même) attendue séance de mi-mandat a été reportée… Cela porte un nom, le mépris de l’électeur, qui a compris et en a pris son parti. Il fut question naguère de « refaire l’éducation des Marocains » ; aujourd’hui, il importe de compléter celle de certains, en effet.

Dans l’attente, le code de déontologie contraignant réclamé par le roi attend toujours, le travail sérieux, assidu et efficace attend également des jours meilleurs. Et pourtant, en dehors des chantiers, généralement royaux, le Maroc espère que son parlement légifère pour les domaines aussi cruciaux que la Moudawana, la place des femmes au sein de la société, le suivi des rapports des institutions de gouvernance, les libertés individuelles, l’intégration des Marocains du monde dans l’économie et la société marocaines…

Mais avant, il faudra que nos parlementaires et leurs dirigeants de bureau, de groupes et de commissions prennent la juste valeur de leur très noble fonction qui ne doit plus être uniquement prisée pour l’indemnité, l’immunité et l’impunité mais aussi et surtout pour l’efficacité et l’engagement, dans l’intégrité. Cela devrait être possible… et ainsi, le parlement, la politique et la majorité ne seraient plus le gros du problème, mais un début de solution.

Aziz Boucetta