(Billet 1078) – Chambre des conseillers et Intérieur... des nominations au masculin
La semaine passée fut chargée… chargée en nominations, désignations et élections. A la Chambre des conseillers et dans la haute fonction publique, intérieure et extérieure, sanitaire, historiographique, économique et sociale. Un grand mouvement dans cette haute fonction publique, un big bang dans l’élite… où la composante féminine est quelque peu délaissée.
A la Chambre des conseillers, le temps d’une semaine, les élus se sont bien plus occupés d’eux-mêmes qu’ils ne se sont préoccupés de l’essence de leur existence, en l’occurrence la législation et le service des électeurs. Cela a commencé par le changement de président ; même parti, même famille, mais profil différent. Dès le lendemain, la mêlée a commencé et les chaises musicales ont volé. Certains ont changé de fonction, d’autres en ont conquis une nouvelle, parfois de haute lutte, d’autres encore ont perdu la leur, maugréant et menaçant. Dans cette Chambre, comme ailleurs, il existe bien plus d’ambitions que de fonctions, et sa « masculinisation » la rend illégitime à défaut d’être illégale. On place et replace, on déplace et on remplace, avec le calcul politicien toujours en bandoulière.
Ceux qui ne figurent pas ou plus au Bureau de l’institution se sont rattrapés qui dans une présidence de commission qui dans une chefferie de groupe. Personne n’était plus sûr de personne, le nouveau président faisant ses comptes et l’ancien se plaçant dans la posture de régler les siens. Et tout cela a donné une belle foire d’empoigne, aussi belle qu’indigne. Mais tous ces éminents personnages, tout à leur nombrilisme, ont oublié l’un des paramètres importants, dont même la pauvre constitution parle, à savoir la parité, les femmes, la représentation féminine. Une femme, une seule, figure dans le long organigramme de la Chambre ; elle s’appelle Neila Tazi, et elle est une rescapée de la masculinisation égarée de la deuxième Chambre. Elle est l’exception qui confirme la règle.
Mais cette règle est aussi malmenée dans la liste de hauts fonctionnaires proposés par le chef du gouvernement au Roi, sur initiatives des ministres de l’Intérieur et des Affaires étrangères, quoique l’affaire est plus atténuée pour le dernier.
Ainsi, pour le ministère de l’Intérieur, il semble y avoir pénurie de femmes. En effet, sur 30 nominations à des fonctions de wali, de gouverneur ou à l’administration centrale, il n’y a pas une seule femme, alors même que ces dernières années, on a pu voir des dames accéder en nombre croissant à des fonctions de cheffes de cercles ou de districts, et même de gouverneures ou walis.
Et pourtant, la loi organique 02-12 relative à la nomination aux fonctions supérieures stipule en son article 4, §1, alinéa 3, comme principes de nomination « la parité entre les hommes et les femmes, en tant que principe dont l’Etat œuvre à la réalisation conformément aux dispositions du 2ème alinéa de l’article 19 de la constitution, sous réserve des principes et critères prévus par le présent article ». On peut comprendre qu’il y ait des réserves pour la nomination de certaines femmes, mais en existe-t-il, des réserves, pour toutes les femmes cadres territoriales ?
La même remarque prévaut pour le ministère des Affaires étrangères qui, pourtant, a cette habitude désormais bien ancrée de nommer des femmes aux postes de responsabilité les plus hauts au sein de la diplomatie. De fait, 43% du personnel du ministère est féminin et 41% des cadres en ambassades et consulats sont des femmes. Que s’est-il passé cette fois pour qu’elles soient en sous-effectif… à peine 23% des chef(fe)s de missions nommés ?
Quant au ministère de la Santé, aucune dame parmi les trois heureux promus à la tête des grands organismes de santé du royaume, les Agences du sang et du médicament, et la Haute autorité de la santé. Il en va différemment pour le ministère de la Culture ou celui, délégué, du Budget. Sur deux noms proposés par chacun de ces ministères, figure une femme. Parité respectée.
Cela étant, la nomination de Wafaâ Jemali à la tête de l’Agence nationale de soutien social interroge. Proposée par Fouzi Lekjaâ, l’homme des missions difficiles, dont il faut reconnaître qu’il s‘acquitte avec une indiscutable maestria, la nouvelle promue est une personne étroitement associée au RNI et à son président, dont elle a dirigé la campagne électorale de 2021 en parallèle à sa direction à la Fondation Joud, avant de diriger le secrétariat général de la présidence du gouvernement Akhannouch. Son intégrité et son efficacité ne sont nullement en cause, son impartialité possiblement...
En dehors du cas de Mme Jemali, l’absence (ou la rareté) de profils féminins dans les listes proposées au Roi par le chef du gouvernement, sur initiative de certains ministres, en plus de leur quasi absence dans le nouvel organigramme de la Chambre des conseillers, pose problème. Et c’est d’autant plus flagrant que le Maroc a récemment célébré – avec grand bruit à son habitude – la Journée nationale de la femme marocaine et que le royaume est en passe de mettre en place un nouveau Code de la famille.
Depuis son intronisation et dès son premier discours, le roi Mohammed VI a grandement œuvré à promouvoir la place de la femme au sein de la société. Les nominations qui relèvent directement de lui, sans proposition du chef du gouvernement ou initiative du ministre concerné, incluent de plus en plus les femmes. Que s’est-il donc passé pour que le chef du gouvernement ne s’inscrive pas dans cette logique, réduisant d’autant l’accès des femmes aux hautes fonctions ? Bien optimiste qui attendrait une réponse…
Aziz Boucetta