(Billet 1077) – Sahara, que dit au juste de Mistura et qu’attendre de l’ONU
Douze jours. Douze jours, du 4 au 16 octobre, qui auront imprimé leur marque à la question du Sahara marocain, ou « occidental » pour la communauté internationale. L’arrêt de la Cour de justice européenne (CJUE), le discours du roi Mohammed VI et le rapport de l’Envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU. Dans le monde d’aujourd’hui, rien n’est fait au hasard, rien ne se fait ni ne se produit aléatoirement, d’où la question : que se passe-t-il pour nos provinces du Sud ?
Le sociologue marocain Mohamed Cherkaoui avait ainsi résumé le lien entre le Maroc et son Sahara : « Sans le Maroc le Sahara n'est que désert, et sans le Sahara l'histoire du Maroc est incompréhensible ». Et voici quelques années, le roi Mohammed VI avait définitivement tranché que « le Maroc restera dans son Sahara, et le Sahara demeurera dans son Maroc jusqu’à la fin des temps ».
A partir de là, on peut discuter.
1/ La CJUE. Son arrêt est discutable, car fondé sur plusieurs approximations historiques, factuelles ou encore sémantiques. La décision est définitive même si elle peut néanmoins faire l’objet de révision dans le cas d’erreurs fondant la décision finale, ce qui est le cas. La Cour accorde également un délai d’un an pour la mise en application de son jugement. Le Maroc se dit non concerné mais cache mal qu’il est consterné.
2/ Steffan de Mistura. Le diplomate a présenté son rapport devant le Conseil de sécurité de l’ONU, dans lequel il revient sur cette idée ancienne, et enterrée, de partition du Sahara marocain, mais il appelle aussi, dans une suggestion plus forte que son rappel de la partition, que le plan marocain d’autonomie mériterait, eu égard à son avancée dans les chancelleries, d’être précisé, expliqué, explicité, ce dont le Maroc convient.
3/ Le discours du roi Mohammed VI. De façon tout à fait exceptionnelle et remarquée par les commentateurs, l’adresse du souverain aux parlementaires était puissante, appelant à la mobilisation générale des Marocains, toutes institutions confondues et société civile comprise. Ce discours est intervenu une semaine après l’arrêt de la CJUE et une semaine avant le rapport de M. de Mistura.
C’est là que ce passage du discours royal du 11 octobre dernier prend toute son importance : « Nonobstant tout ce qui a été réalisé, la prochaine étape exige de tous un surcroît de mobilisation et de vigilance pour conforter durablement la position de notre pays, et il importe de continuer à plaider la justesse de notre Cause et à contrecarrer les manœuvres des adversaires ».
L’affaire n’est pas gagnée, contrairement aux analyses et commentaires faits à la suite de ce discours, dont cette rubrique ; elle est sur la ligne de crête du droit international, mais elle est en bonne voie.
Plusieurs questions se posent.
1/ Y a-t-il concomitance entre l’arrêt de la CJUE et le rapport de Mistura (essentiellement son passage sur la partition) ? Idée complotiste sans doute, mais connaissant la rouerie et la sournoiserie de la « communauté internationale », rien ne pourrait être exclu. Maintenir une épée de Damoclès sur le trublion Maroc qui pense pouvoir s’affranchir de ses « protecteurs » occidentaux (positions autonomes sur l’Ukraine, condamnation du génocide en cours à Gaza, diversification des partenaires…) pourrait avoir une certaine utilité.
2/ Pourquoi M. de Mistura est-il revenu – même « discrètement » comme il le précise – à cette proposition âgée de 20 ans, émise par l’alors tout-puissant James Baker et pourtant rejetée par le Maroc ? Pourquoi revenir à une « solution à deux Etats », qui pourrait rappeler quelque chose de plus actuel ?...
3/ Pourquoi Reuters n’a-t-elle retenu que cette partie du rapport, dont l’auteur reconnaît la stricte et définitive impossibilité d’application ? Peut-être Reuters a-t-elle été émue par le « regret » du diplomate de devoir oublier cette « solution »…
4/ Pourquoi l’AFP ne reprend-elle à son tour que cette idée de partition, avec un titre que le Monde et France24 retiennent : « Sahara occidental : un projet de ‘partition’ soumis à l’ONU mais rejeté par le Polisario », indiquant en creux que le Maroc ne le rejette pas ou pourrait l’accepter !
5/ Pourquoi, dans sa reconnaissance de la marocanité du Sahara, le 30 juillet, le président français Emmanuel Macron n’évoque que « le présent et l’avenir », réduisant cette reconnaissance à un simple acte bilatéral factuel entre le Maroc et la France, et occultant la dimension historique qui confère sa légitimité à la position marocaine. Il a fallu que le lendemain 31 juillet, le roi Mohammed VI, lui rappelle « le passé et le présent » que la France connaît « intimement ».
Trêve de questions, mais deux remarques s’imposent.
1/ Hors l’Espagne, qui ne reconnaît pas (encore) explicitement la marocanité du Sahara, mais affirme l’unicité du plan marocain d’autonomie, les Etats-Unis et la France demeurent les soutiens les plus importants à cette marocanité. Or, les Etats-Unis ont des intérêts géopolitiques (Afrique, Israël, antagonismes avec Pékin et Moscou) dans lesquels le Maroc joue hardiment sa propre partition, et la France veut des contrats mais ne veut pas de concurrence (LGV, Airbus, sous-marin(s), satellites).
2/ On ne peut considérer ni admettre que les juges de la CJUE ou que M. de Mistura puissent agir comme ils l’entendent, surtout quand les premiers se fondent sur des erreurs factuelles grossières et que le second mentionne une idée dont il reconnaît lui-même la stricte inapplicabilité.
Cela étant, il est aussi important de lire le rapport, entre les lignes. Et dans son rapport, Steffan de Mistura parle de la nécessité « d’avancer de manière décisive dans ce dossier », s’inquiète en filigrane de la duplicité algérienne (qui se considère comme non partie mais qui retire son ambassadeur de France après le message de M. Macron au roi Mohammed VI), atténue l’impact de l’arrêt de la CJUE, ménage le Maroc en usant d’adverbes comme « respectueusement », évacue rapidement l’idée de partition, évoque en quelques phrases l’exigence référendaire du Polisario et s’étend longuement sur la nécessité pour le Maroc d’expliquer et de détailler. Il dit qu’il « continue de penser, sans préjuger de la solution qui sera choisie pour un règlement de la question du Sahara occidental, que le moment est venu pour [lui] et pour tous les interlocuteurs d’explorer les modalités que le Maroc envisage concrètement ».
On peut le constater, la tonalité générale du rapport de M. de Mistura « retient » davantage la proposition marocaine que celle émise par le duo algéro-polisarien. Le diplomate, mentionnant les 50 ans de ce conflit, donne au Conseil un délai de six mois, au terme duquel il scénarise son départ. Mais dans le contexte géopolitique mondial, le Maroc doit faire montre de « mobilisation et de vigilance », comme l’a martelé Mohammed VI. Mobilisation pour défendre l’intégrité territoriale et vigilance pour bloquer les initiatives hostiles des Algériens et les manœuvres sournoises des alliés.
La « mobilisation et la vigilance » requièrent de l’information – de la part du ministère des Affaires étrangères – et de l’engagement – pour les parlementaires –, mais cela est une autre affaire, qu’il faudra solutionner en urgence !
Aziz Boucetta