(Billet 1001) – Au Maroc, les droits des femmes ne sont pas vraiment à la fête !

(Billet 1001) – Au Maroc, les droits des femmes ne sont pas vraiment à la fête !

« Comment espérer atteindre le progrès et la prospérité alors que les femmes, qui constituent la moitié de la société, voient leurs intérêts bafoués… » ? Ainsi s’exprimait le roi Mohammed VI dans un discours de 1999, au tout début de son règne. Vingt-cinq ans plus tard, les femmes représentent toujours la moitié de la société et leurs droits sont toujours autant bafoués, sauf que c’est plus discret et qu’on y met la manière… Alors où en sommes-nous ?

Et bien un quart de siècle après, nous en sommes à une refonte de la Moudawana, la seconde en vingt ans, et tout connaisseur du Maroc conviendra qu’au plus haut niveau de l’Etat, la décision de favoriser l’égalité est claire et explicite. Mais les femmes sont toujours dans une situation précaire. A qui la faute ? A tout le monde, les femmes en premier. On ne peut en effet expliquer la situation inégalitaire sur le plan du genre que par une « domination » masculine, ou par la seule existence et persistance d’une société patriarcale. La Tradition joue un grand rôle, et la religion aussi, ou la mauvaise interprétation de la religion, et, enfin, une volonté très poussive des acteurs politiques combinée à une forme de « servitude volontaire » d’une partie considérable, voire majoritaire, des femmes marocaines, au mieux résignées, au pire convaincues de la position en surplomb des hommes.

Le taux d’activité des femmes au Maroc est passé de 30,4% en 1999 à 21,5% en 2019, et après la crise Covid, il est tombé à 18,5%. En d’autres termes, une femme sur cinq n’a pas d’emploi, et n’en cherche pas. C’est d’autant plus curieux que pour le baccalauréat, le taux de réussite est de 63,83% chez les filles et 54,89% pour les garçons. A l’issue du premier cycle d’enseignement supérieur, la féminisation est de près de 60%, et de seulement la moitié pour les masters et doctorats. Et au bout du chemin, moins de 20% sont sur le marché du travail.

Pourquoi cette déperdition ? Des législations très largement perfectibles, malgré les avancements enregistrés dans plusieurs domaines, des dysfonctionnements masqués (inégalités des salaires, harcèlements divers, réputation…) et surtout des résistances culturelles et de nature religieuses (inégalité face à l’héritage et immuabilité du Coran…). Dans l’espace public, et contrairement aux années 80 et 90, les femmes sont continuellement harcelées, comme pour leur faire comprendre qu’elles ont investi un espace public qui ne leur appartient pas, et la classe politique campe sur une position conservatrice à la peau dure ; même les instructions royales de faire évoluer les règles de l’avortement n’ont pas eu de suite, et pourtant ces instructions datent de 2015.

C’est donc le fameux plafond de verre, propre au Maroc où les apparences l’emportent souvent sur les volontés réelles de faire, et de bien faire. Ainsi, dans la fonction publique, avec 40% des effectifs au féminin, les postes de direction et de responsabilité ne sont que 16% ; les femmes ne sont que 7% des administrateurs des plus grandes entreprises publiques, seulement 11% des administrateurs des sociétés cotées et 5% sont administratrices de grandes entreprises publiques. Mais ces


femmes sont mises en avant, célébrées, citées en exemple, alors même qu’elles ne constituent qu’une petite minorité. Mais l’apparence est sauve, hamdoullah !

Néanmoins, nous dit-on, les choses s’améliorent, sauf que ce ne sont toujours que des apparences ! Femmes maires de grandes villes, femmes ministres, femmes ambassadrices, femmes députées, femmes responsables dans le privé... Certes, tout cela est exact et réel mais il faut admettre et reconnaître qu’une partie de ces femmes sont parvenues à ces postes par discrimination positive plus que par le seul mérite, bien que le mérite ne pose pas problème.

Alors où est le problème ? Le problème est dans les premières années, où l’éducation à la maison et l’instruction à l’école butent sur les questions sociétales et traditionnelles et aussi, pesamment, sur les dogmes religieux. « Une femme doit servir son époux », « une femme doit faire des enfants, et servir son époux », « les hommes ont autorité sur les femmes en raison des faveurs qu’Allah accorde à ceux-là sur celles-là » (Coran, 4 : 34)… Et ce qui est enseigné dans les premières années est si dur à combattre plus tard, comme on le peut constater dans cette nouvelle Moudawana qui tarde à voir le jour…

Dans une société où le célibat des femmes est considéré comme une forme de revers silencieux dans une vie socialement bien réglementée, bien des femmes seront amenées à renoncer à une vie professionnelle en adéquation avec leurs formations en faveur d’un statut conjugal autrement plus apprécié et accepté dans le royaume. Comme lutter contre cela, bien que le célibat féminin à 50 ans soit passé de 5,3% en 2014 à près de 10% en 2014 ? Il est bien difficile qu’un parcours éducationnel abouti, du préscolaire à l’université, parvienne à l’emporter sur les pratiques sociales et les convictions spirituelles, et c’est là le problème du pays.

L’irruption des nouvelles technologies dans nos vies a eu un double impact : Une plus grande religiosité véhiculée par les discours fondés sur des interprétations surannées, ou qui devraient l’être, mais, en même temps, une prise de conscience féminine quant au rôle des femmes dans la société et concernant aussi une plus grande conviction de l’égalité de genre. D’où une forme d’entame d’une mutation sociologique qui reste à se préciser. Dans l’attente, les femmes, bien souvent, optent pour le chemin de l’émigration ; ainsi, le Conseil économique, social et environnemental et le HCP nous apprennent qu’un nombre croissant de femmes instruites quittent le Maroc ou restent à l’étranger une fois leur formation achevée, peu sûres de trouver des droits et d’en bénéficier dans leur pays d’origine.

Alors, la question de départ du règne (et de ce billet) reste posée : « Comment espérer atteindre le progrès et la prospérité alors que les femmes, qui constituent la moitié de la société, voient leurs intérêts bafoués » ?. A lui seul, sans une classe politique volontaire et audacieuse et avec une société traditionnelle voire conservatrice, le roi ne peut tout faire tout seul. On attendra donc, pour le développement et dans l’attente, ce n’est pas vraiment la fête, pour les femmes au Maroc…

Aziz Boucetta