(Billet 951) – Le leadership occidental, victime collatérale de la guerre à Gaza

(Billet 951) – Le leadership occidental, victime collatérale de la guerre à Gaza

En 1948, le monde occidental créait l’Etat d’Israël sur les décombres du IIIe Reich et le fondait (dans les deux sens) sur la mémoire de la Shoah dont il se sentait responsable ; en 2023, 75 ans après, l’Etat d’Israël enterre l’idée de l’Occident avec ses valeurs et ses principes, son leadership et son attractivité qui fut. Dans l’intervalle, guerres et massacres perpétrés par le bloc occidental, ultra-capitalisation sur l’Holocauste, permissivité totale à l’Etat hébreu et autres actes violents ont peu à peu érodé, puis détruit l’ascendant moral que pouvait avoir eu l’Ouest sur le monde.

Pourquoi ce leadership a-t-il duré aussi longtemps ? D’abord en raison de cette vérité que la démocratie, même occidentale, est « le plus mauvais des systèmes de gouvernement, à l’exception de tous les autres » comme disait très justement Winston Churchill, et que donc elle présentait un certain attrait, surtout quand elle était consubstantielle d’une prospérité économique et d’un bien-être social, ce qui n’est plus le cas. Ensuite par la conjonction d’une industrie médiatique ultrapuissante, corrélée à la haute finance, et de la persistance d’un complexe du colonisé dans l’ancien tiers-monde ; les citoyens de l’actuel Sud se voyaient, et bien nombreux se voient encore à travers le prisme d’un occident volontiers donneur de leçons qu’il est le premier à transgresser dès lors qu’il s’agit de son « clan ».

Les fossoyeurs de la prééminence occidentale, aujourd’hui, ont un nom. Ils s’appellent Joe Biden, Emmanuel Macron, Olaf Scholz, Giorgia Meloni, Rishi Sunak, Justin Trudeau, et ce « cartel » va être probablement renforcé par l’inquiétant Batave M. Geert Wilders. Tous ont plongé dans le piège israélien, prenant en quelques minutes, le 7 octobre, dans l’intensité de l’émotion et le feu de l’action, des décisions et des positions dont les conséquences dureront des années, peut-être plus ; tous ont été piégés par Benyamin Netanyahou, pourtant contesté par son propre peuple, par un nombre croissant de ses intellectuels, par un effectif significatif de ses soldats, et par le monde qui voient les massacres quotidiens perpétrés à Gaza.

Ces gens mènent leurs pays respectifs vers l’abîme, ainsi que le dit un connaisseur de son pays et des arcanes diplomatiques mondiaux, en l’occurrence l’ancien premier ministre français Dominique de Villepin. Ils sont aidés, dans leur mission auto-destructrice, par des médias sous l’emprise du grand capital qui a de grands intérêts à soutenir l’innommable et à défendre l’insoutenable, quitte à verser dans l’absurde, voire le ridicule.

Les populations occidentales, quant à elles, commencent enfin à se réveiller de cette très longue hibernation dans laquelle elles étaient plongés, avec ou sans leur assentiment. La guerre en Ukraine et les massacres à huis clos de Gaza ont fini de faire exploser le plafond de verre de la réflexion collective et de la prise de conscience populaire. Médias et pouvoirs occidentaux ont si peu d’estime pour leurs populations qu’ils n’ont pas compris, pas plus qu’ils n’admettent


aujourd’hui, que la différence de traitement des Russes et des Israéliens est flagrante. Et indigne.

Il semblerait, dans cette galaxie politique et médiatique occidentale, que les Palestiniens en particulier, les arabes et musulmans en général, n’ont aucune valeur… que les Ukrainiens en ont un peu, si bien sûr ils sont attaqués par l’ennemi russe… mais que les Israéliens, quoi qu’ils fassent, ont une valeur inestimable, en vertu de laquelle tout ou presque leur est accordé, que leurs vies n’en valent aucune autre et que ce qui les atteint concerne l’Ouest dans son intégrité. Les populations occidentales, abreuvées des décennies durant par cette propagande soutenue et (il faut le reconnaître) de bonne qualité, sont aujourd’hui désemparées. Comment continuer de soutenir Israël en fermant les yeux sur les crimes quotidiennement commis à si large échelle ?

Dans leur mépris pour leurs propres opinions publiques, les chancelleries occidentales ont commencé leur œuvre d’auto-destruction avec la guerre en Irak et les mensonges qui l’ont accompagnée, puis avec l’intervention en Lybie pour « sauver » des populations menacées par Kadhafi, alors que d’autres populations étaient abandonnées à leur sort en Syrie, et ensuite avec l’affaire ukrainienne où les Occidentaux (de l’aveu même d’Angela Merkel) ne cherchaient pas la paix mais préparaient l’Ukraine à la guerre.

Lorsque, à l’avenir, l’Occident parlera dignité, droits humains, démocratie, élections, état de droit, ordre constitutionnel, il sera moins convaincant que naguère, ayant perdu son aura passée et sa crédibilité imposée par les chars et les dollars, et dans les discussions officielles ou officieuses, cela se fera sentir. Quelle différence y a-t-il donc encore entre un Occident moralisateur pour les autres, volontiers exterminateur quand il est concerné ou que ses intérêts soient engagés, et le tandem Chine/Russie, peu respectueux des principes universels des droits humains mais n’usant ou ne menaçant d’user de la force que quand ses intérêts vitaux sont menacés ?

Les contestations actuelles aux Etats-Unis, en France, au Royaume-Uni et dans d’autres pays occidentaux montrent la rupture désormais flagrante entre les pouvoirs dans ces pays et leurs médias d’un côté, les opinions publiques de l’autre. L’actualité à Gaza dévoile aussi « la barbarie et la sauvagerie » de l’Europe, telle que récemment dénoncée par Nicolas Sarkozy.

Le monde occidental a bien changé en ce 21ème siècle… Avant, les pays d’Europe et d’Amérique étaient dirigés par des hommes d’Etat, quelles que furent leurs politiques, et quelles que furent ces politiques, elles étaient réfléchies, soigneusement pesées et sous-pesées, avant d’être appliquées. Aujourd’hui, ce même Occident est mené par des élus à la vue courte, obnubilés par les sondages et tétanisés par le grand capital, dont les intérêts ne convergent que rarement avec ceux de leurs peuples.

Au 19ème siècle, James Freeman Clarke disait qu’ « un politicien pense à la prochaine élection et un homme d'Etat à la prochaine génération ». Il n’existe plus d’hommes d’Etat en cet Occident, désormais décadent.

Aziz Boucetta