(Billet 923) – Questions sur un séisme

(Billet 923) – Questions sur un séisme

Dans quelques jours, cela fera un mois que la terre a vigoureusement tremblé dans la région d’al Haouz. Une puissance de 7 sur l’échelle de Richter et à l’arrivée, près de 3.000 morts, 6.000 blessés et des dizaines de milliers de sans-abris. Reconstruire est une urgence, mais savoir ce qui s’est passé, pourquoi cela s’est-il passé et comment corriger les erreurs est une priorité.

Nous savions, mais avec et après le séisme nous savons mieux, car nous avons vu et entendu. Nous avons vu les champs de ruines auxquels ont été réduits des dizaines de villages et nous avons entendu les cris poignants des populations de la région, ayant tout perdu, qui des êtres chers, qui des maisons, parfois, souvent, les deux. Comment cela se fait-il que le Maroc émergent, le Maroc vendu comme modèle de développement serein et apaisé, dans le respect des hommes et de la nature… comment expliquer que les populations de près du tiers de la superficie du Maroc aient vécu – et vivent toujours – dans des conditions qui rappellent davantage le Moyen-âge que l’ère moderne ? Qui en est responsable ?

A cette question, les réponses sont multiples et reflètent les états d’âme, les croyances, les idéologies des uns et des autres. La vérité sur les responsabilités se situent à l’intersection de tous ces points de vue. Mais quelques éléments de réflexion peuvent peuvent néanmoins être suggérés…

1/ Les programmes de développement rural et des zones de montagnes. Sur le plan central, l’aménagement du monde rural et des reliefs a depuis longtemps été une priorité. Plusieurs plans ont été lancés et des commissions ont été mises en place, aux sigles quasi-ésotériques : SNDERZM pour stratégie nationale de développement de l’espace rural et des zones de montagne, PRDTS pour programme de réduction des disparités territoriales et sociales en milieu rural, CIPDERZM, pour commission interministérielle permanente de développement de l’espace rural et des zones montagneuses, et FDRZM ou Fonds de développement rural et des zones de montagne pour financer le tout.

Et malgré les 50 milliards de DH décidés par le roi et solennellement annoncés par lui, en dépit de tous ces organismes commissions, fonds, plans et autres stratégies, des centaines de douars sont restés enclavés, leurs populations délaissées, la santé qui prend l’eau, l’éducation à vau-l’eau, l’avenir des jeunes de ces régions entre parenthèses !

La Cour des comptes a émis ses réserves sur l’affectation de ces fonds, la gouvernance qui va avec et celle qui doit, en principe, tracer la vraie stratégie, applicable et évaluable. Des dizaines de sous-ordonnateurs qui travaillent, forcément, de façon désordonnée, et un manque de suivi, de contrôle et d’évaluation. Le CESE a, lui aussi, épinglé le fonctionnement du FDRZM : « Les projets et programmes...

du développement réalisés ont été souvent conçus, sans une vision intégrée ni des approches adaptées aux particularités de ces zones ».

A l’arrivée, des dizaines de milliards engloutis par une gouvernance approximative. Sur les 50 milliards de DH, 36 devaient aller aux routes et 12 millions de bénéficiaires dans 1.253 communautés rurales, mais quand la terre a tremblé, on a parlé régions enclavées, routes impraticables (et pas à cause du séisme), constructions fragiles…

Quelqu’un devra rendre des comptes, si on croit encore au principe de la reddition des comptes et de sa corrélation à celui de la gouvernance.

2/ Représentativité des populations. Depuis le temps qu’on évoque la spécificité marocaine, la particularité, l’originalité et tous ces vocables qui veulent nous distinguer, alors il est urgent d’entamer une réflexion sur la démocratie représentative, spécialement dans la montagne. Les structures ancestrales sont toujours là, sans pouvoir effectif, et les institutions constitutionnelles sont aussi là, mais sans efficacité réelle et mesurable.

Regrouper les conseils des différentes communautés ou douars et élire un cheikh ou autre avec des attributions réelles serait peut-être un début de solution à la représentativité effective et efficace des populations. De la même manière que les structures administratives élues des villes diffèrent selon la taille de ces villes, les représentations rurales élues devraient tenir compte des spécificités des populations des régions montagneuses ou des communautés tribales. On passerait ainsi, dans ces régions, d’une démocratie représentative qui a montré ses limites à une démocratie participative qui gagnerait à être expérimentée.

3/ Reddition des comptes des responsables. Dans l’intervalle, demander des comptes aux élus de ces régions et à leurs autorités administratives ne serait pas superflu. Demander des comptes ne signifie pas nécessairement juger, condamner, embastiller, mais évaluer une politique, analyser ses défaillances, déterminer au besoin s’il y a eu manque de moyens ou manquements humains. Et juger de ce qu’il y a lieu. Des ministres doivent ainsi s’expliquer, d’Abdelilah Benkirane à Saadeddine Elotmani, d’Aziz Akhannouch à Abdelouafi Laftit, de Mohamed Hassad à Mohand Laenser, d’Abdelkader Amara à Aziz Rabbah, des présidents de conseils régionaux, provinciaux et communaux qui se sont succédés, ainsi que des walis et gouverneurs qui étaient en fonction depuis des années.

Peut-être comprendrait-on alors les raisons des défaillances, pour quels motifs ces gens qui disposent de moyens modernes ou même d’avant-garde ont-ils laissé les populations de ces régions vivre dans des conditions moyenâgeuses. C’est bien le moins qu’on puisse faire pour les âmes des morts, pour les blessés, pour les orphelins et pour tous ceux qui ont perdu leurs biens et leurs espoirs, leurs espérances.

Et pour que la reconstruction ne reproduise pas les erreurs, voire errements, du passé que l'on voudrait voir aussi enseveli sous les décombres de ses causes.

Aziz Boucetta.