(Billet 697) - Les trois freins à l’émergence du Maroc

(Billet 697) - Les trois freins à l’émergence du Maroc

Vouloir jouer dans la cour des Grands, ou des moyens, implique de… voir grand, et de s’en donner les moyens. De grands efforts, de grands moyens et, par-dessus tout, une grande volonté politique, pour changer ce qui doit l’être et améliorer autant que possible le reste. Le Maroc, depuis quelques années, s’est vu pousser une ambition de puissance émergente, pose ses conditions à ses alliés et s’impose comme facteur incontournable de développement et de stabilité régionaux.

Il existe toutefois des freins à cette ambition, des obstacles et des entraves qui doivent être levés avant de penser à obtenir des résultats ou de voir des avancées. Une société, pour fonctionner, a besoin d’adhésion, de gouvernance et de création de richesses, trois facteurs essentiels qui, sous nos cieux, sont amplement perfectibles car leurs travers empêcheront toute réalisation.

1/ L’incivisme. Bien qu’attachés à leur pays et à leurs traditions et (quelque peu) fiers de leur histoire, les Marocains restent réticents à se comporter en vrais citoyens. Qu’est-ce qu’un vrai citoyen ? Un individu qui respecte les lois, affiche une conscience de ses devoirs avant de penser à ses droits. Respecter le code de la route est un préalable au civisme et dans ce domaine, la citoyenneté a encore un long chemin à parcourir. Respecter l’espace public et celles et ceux qui s’y trouvent est un autre prérequis pour une société forte et, là encore, le Maroc est en retrait par rapport à ce qu’il devrait être et à ce qu’il aspire à être. Accepter de payer ses impôts sans rechigner ni brandir l’antienne habituelle de « que fait l’Etat pour nous ? » serait une condition primordiale pour être un vrai citoyen qui s’interrogera sur ce que lui donne à son pays… Nous en sommes loin.

2/ La gouvernance. Une société qui fonctionne est une société où le politique agit, innove, ose toujours, s’oppose à l’occasion et propose souvent. Le politique, dans son sens large, avec les partis et les syndicats. Nous avons, en réalité, des partis atones et des syndicats aphones, tous deux moribonds ou bons à rien. Oh, on dira bien que cela ne sert à rien d’avoir de telles structures car « le palais fait tout », ce qui est inexact si on considère que le palais agit comme la nature,...

qui a horreur du vide et qui le remplit en conséquence. Tout parti politique a comme ambition d’atteindre les positions de pouvoir, mais au Maroc, cela est une fin en soi, alors même qu’accéder au gouvernement devrait être un départ… le commencement de la concrétisation de sa vision, de la mise en œuvre de ses idées, de son programme et, bien évidemment, l’exécution des décisions du chef de l’Etat, avec lequel on compose, auquel on propose.

3/ La création de richesses. Elle est le plus souvent l’œuvre de l’entreprise, laquelle doit idéalement être dirigée par un entrepreneur, et n’est pas entrepreneur qui veut ! Réaliser du bénéfice n’est pas nécessairement créer de la richesse ; or, le profit, de préférence rapide, semble être l’objectif de l’écrasante majorité de nos entrepreneurs, dont un grand nombre n’a pas lu Schumpeter et se suffit de créer du bénéfice par la rente, la spéculation, la facilité ou la corruption. Rester sur les activités de services et ne pas innover condamnera le Maroc a demeurer dans les queues de classements mondiaux. Et innover, c’est investir dans de nouveaux produits, de nouveaux marchés, de nouvelles matières premières, ce qui implique une prise de risque, laquelle doit être soigneusement calculée. Après une longue période de placements spéculatifs et de grande prudence dans le financement de l’économie, les banques se sont réformées, mais n’ont pas de véritables entrepreneurs face à elles ; l’entreprise est rarement bancable car elle est souvent bancale.

Pas de citoyens, donc, dignes de cette qualité de citoyens, civiques, respectueux des lois et s’acquittant de leurs impôts. Pas de classe politique audacieuse tout en étant respectueuse, qui propose sans crainte de s’opposer. Pas d’entrepreneur preneur de risque, engageant des fonds et s’engageant à fond pour dégager du profit. Le résultat est : « pas de développement », du moins dans l’immédiat.

En recommandant voire en aspirant à « un Etat fort avec une société forte », les concepteurs du nouveau modèle de développement ne disent pas autre chose que créer des citoyens, des vrais, des partis, véritables, et des entrepreneurs créateurs. De la réalisatioin de ces trois facteurs découle le reste : justice, éducation, santé...

Dans l’attente de la concrétisation, on attend… et plus on attend, plus on perd du temps, et plus les autres nous dépassent.

Aziz Boucetta