(Billet 511) – Que se passe-t-il à Figuig ?

(Billet 511) – Que se passe-t-il à Figuig ?

Si l’on en croit les témoins, futures victimes, l’armée algérienne serait entrée sur le territoire marocain et procède, tranquillou, à des contrôles d’identité, voire à des injonctions d’évacuation ! Est-ce faux, serait-ce vrai ? Nos officiels sont aussi silencieux qu’un désert. Les Algériens ont-ils osé ? Quelles sont finalement nos frontières ? A l’est, on n’en sait rien, au sud, on se bat pour les définir, et même à l’ouest, là où il y a l’océan, et les Canaries, un antagonisme violent oppose Madrid à Rabat !

Le Polisario nous dispute le Sahara qui, de toutes les façons, est nôtre et l’Algérie voudrait bien créer une diversion sur sa frontière occidentale. Quant à l’ouest, l’Espagne a avalé ses banderilles quand notre diplomatie a fait voter au parlement les frontières maritimes du royaume, tel que lui en donne le droit la convention de Montego Bay de 1982. Mais, pour autant, nous ne sommes pas dans un monde sans lois… Les Espagnols pensaient partir en croisière pour étendre leurs frontières maritimes des Canaries, mais une double bordée législative marocaine les a rendus à leurs ports.

De l’autre côté, à Figuig (photo), on raconte que des soldats algériens, commandés par un « Mon Général » ont surgi, demandé leurs identités et leurs preuves foncières à des personnes vivant là depuis des décennies, puis leur ont donné un ultimatum de quelques jours pour évacuer les lieux. Et tout cela n’a fait l’objet d’aucune communication de notre gouvernement, et encore moins de nos politiques.

Disons-le, ce n’est pas parce que l’affaire concerne les frontières, l’Algérie, l’armée royale, que nous ne devons pas savoir ce qui se passe. L’institution militaire est peut-être la Grande Muette, mais le public n’est pas pour autant le Grand Sourd, surtout à l’ère des réseaux sociaux. En face, ce ne sont pas les Algériens qui hurlent encore une fois au loup, mais des citoyens marocains qui pleurent et crient leur détresse et leur désarroi, des octogénaires qui ont dépassé l’âge du buzz et des fake news...

Prolégomènes. La frontière terrestre a été délimitée en juin 1972 par les deux pays, puis ratifiée par les Algériens en 1973 et par les Marocains quelque temps après… en 1992. Cependant, les quelques 2.000 km de frontières n’ont pas été entièrement tracés, et la zone de Figuig est située dans le périmètre non défini, ou mal délimité....

Il est vrai qu’avec un oued appelé « l’oued sans nom », il est difficile d’être précis… mais les Algériens considèrent que les terres concernées se trouvent sur leur territoire.

Deux cas peuvent se produire : les Algériens ont raison de réclamer leur dû (sur le plan moral, c’est une autre affaire), et dans ce cas les Marocains qui y travaillent doivent être dûment indemnisés et recevoir d’autres terres de même superficie et de même valeur. Après tout, c’est l’Etat marocain qui aurait alors failli par imprécision à l’égard de ses ressortissants. Second cas, les Algériens ont tort, et si cela est prouvé, le Maroc doit s’en remettre aux instances internationales. Et dans un cas comme dans l’autre, informer l’opinion publique et les concernés est une priorité, une nécessité… Il est en effet assez rare qu’une armée étrangère vienne déloger des nationaux de leurs terres…

Cela étant, pourquoi les généraux algériens ont-ils choisi ce timing pour s’introduire sur le sol marocain, ou au moins dans une zone disputée à défaut d’être discutée ? Guergarate, la reconnaissance US de la marocanité du Sahara, la situation sociale et le désarroi politique en Algérie… tout ceci peut certes justifier l’acte inamical et fébrile des généraux voisins… qu’on sait grossiers et frustes, mais pas fous et idiots.

Dans cette carte régionale qui se redessine dans le cadre d’une compétition mondiale pour le leadership et l’implantation, les Algériens auraient-ils eu des garanties d’une quelconque chancellerie occidentale ou slave, que l’arrivée des Américains aurait éveillée à un besoin de contre-puissance dans la région ? Car, à supposer même le bien-fondé de la requête algérienne, est-ce du rôle de l’armée de jouer le gendarme chez un état voisin ? N’est-ce pas là la fonction de la diplomatie, des organismes internationaux, de potentiels médiateurs ? Cette incursion sent le soufre…

Le Maroc n’a rien dit suite à l’aventurisme guerrier des gens du Polisario, se contentant de ripostes à faible intensité, proportionnelle à la faiblesse des agresseurs. Rabat ne répond pas non plus aux propos de plus en plus hostiles des chefs d’Alger, pas plus qu’il n’a réagi à l’affaire de Figuig. Jusqu’à quand et à quelles conditions cette retenue marocaine peut-elle encore tenir ?

Cette incursion sent en effet le soufre, et on peut craindre le pire, étant entendu que ce n’est pas du côté européen qu’il faut attendre une médiation heureuse.

Aziz Boucetta