(Billet 372) – Un ministre de l’Intérieur ne devrait pas dire ça…

(Billet 372) – Un ministre de l’Intérieur ne devrait pas dire ça…

Depuis que la crise a surpris Marocaines et Marocains, Marocains et Marocaines ne pipent pas mot et, globalement, auront permis au gouvernement de prendre le meilleur sur le virus. Oui, il faut le dire, c’est grâce à la discipline et l’adhésion des populations que finalement, le royaume a pu maîtriser la situation. Alors, si l’inquiétude revient et qu’une deuxième vague survient, il ne faut pas gronder, tancer, avoir la menace facile ; le mieux que pourrait faire le ministre de l’Intérieur est de s’adresser aux populations avec des égards.

Les faits. Lundi 13 juillet, après deux communiqués confinant Tanger, et un rétropédalage sur le second, le ministère de l’Intérieur commet un communiqué pour le moins violent et brutal. Le fond y est et se justifie, appelant avec fermeté les gens à respecter les mesures préventives contre la Covid-19. Mais la forme n’y est pas. On parle de « certains » individus », on menace d’ « appliquer les dispositions répressives », on prévient que « les autorités ne toléreront aucune légèreté », on épingle « les comportements irresponsables ». C’est un communiqué ou une attaque en piqué ?

Prolégomènes. Depuis des décennies, quand les rois du Maroc s’adressent aux Marocains, ils commencent invariablement par « Chaâbiya laâziz », même quand la suite est énervée. On peut être ferme, voire agacé, mais on peut, on doit rester courtois. Nous sommes une société où la politesse compte.

Puis, au début du siècle et de l’actuel règne, on a beaucoup parlé de « nouveau concept de l’autorité », qui signifie globalement d’être proche de la population, par l’efficacité de l’acte et l’aménité du verbe. Vingt ans plus tard, l’autorité, administrative soit-elle ou policière, s’exerce dans l’urbanité et le respect ; tout autre comportement indélicat, et il y en a, est désormais considéré comme déviant de la norme, et son auteur sanctionné, si la preuve est photographiquement établie de son manque de considération. Et comme aujourd’hui, les téléphones filment plus qu’ils n’appellent, la preuve est vite faite en cas de violence, ou brutalité, ou simplement de comportement inapproprié.

Revenons au communiqué… appartient-il à un ministre de l’Intérieur, connu ès-qualité pour ne pas déborder d’humour, de déclarer qu’une personne est irresponsable ? La...

fonction de ministre de l’Intérieur relève de l’exécutif, et si l’exécutif adopte cette approche de décider de qui est « irresponsable » ou pas, avant de décider « d’appliquer des dispositions répressives », on aura réalisé le Grand Bond en Arrière, reculant d’une bonne trentaine d’années… alors même qu’on souhaite nous projeter vers l’avenir. En d’autres contrées, dirait un étudiant en 1ère année de droit, c’est à la justice de se prononcer sur l’irresponsabilité, ou non, d’un individu… et dans le cas où il serait reconnu irresponsable, il est jugé et sanctionné, pas avec « des dispositions répressives ». Les mots ont un sens, et beaucoup d’importance.

Au lieu de dire, par ailleurs et par exemple, que « l’autorité ne tolérera plus la légèreté … », le ministère aurait pu dire qu’ « on ne peut tout attendre de l’Etat »…, puis agir. Agir par des confinements partiels, comme à Safi ou Tanger, agir par des intrusions dans des lieux publics pour vérifier le respect des consignes, comme à Casablanca…

Venons-en au fond. Le ministre de l’Intérieur a raison en se montrant ferme car nous avons tous constaté ce relâchement général sur les plages, dans les bus, dans les chaumières et dans les espaces publics, sans masque, les gens agglutinés, bras grands ouverts au virus planqué en embuscade. Soit, mais le relâchement est général, car c’est l’autorité administrative qui doit gérer les mouvements sur la voie publique, comme cela a été fait en mars, en avril, en mai.

Et si tout le monde se relâche, c’est que tout le monde est fatigué. Il aurait peut-être mieux valu changer d’approche, sensibiliser, verbaliser… sans montrer la colère, le manque de « tolérance », l’agacement… la panique ? Cela ne passera pas. Les Marocains ont pris l’habitude d’être traités avec des égards, même si toute chose est perfectible.

Cinq mois et demi après l’apparition du premier virus au Maroc, le ministère de l’Intérieur aura bien fait les choses, délimitant les périmètres d’action, œuvrant à contenir la pandémie et limitant les inévitables dérapages. Ce dernier communiqué n’aurait pas dû être, dans cette forme. Il rappelle de mauvais souvenirs.

Gardons-en le fond, et protégeons-nous ; rejetons sa forme, difficile à partager.

Aziz Boucetta