(Billet 332) – Combien de Dr Slaoui le Maroc a-t-il perdu et perdra encore ?

(Billet 332) – Combien de Dr Slaoui le Maroc a-t-il perdu et perdra encore ?

Le Dr Moncef Slaoui est nommé chef de la Task Force de la Maison Blanche contre la Convid-19, alleluia ! Le Dr Moncef Slaoui est applaudi par Donald Trump, magnifique ! Le Dr Slaoui trouvera LE vaccin, splendide ! Le Maroc et les Marocains expriment bruyamment leur fierté pour le Dr Moncef Slaoui, mais une complainte aussi silencieuse que douloureuse tempère ce sentiment d’orgueil.

Un dicton bien de chez nous dit que « aucun chat ne fuit la maison du mariage », où il fait ripaille. A l’inverse, si la famine point dans un lieu, le chat s’en va. Combien de chats s’en sont-ils donc allés, quittent encore et quitteront les lieux de céans ? Combien de Dr Slaoui évoluent-ils à l’étranger, moins connus mais tout aussi talentueux ? Ils s’appellent Rachid Yazami, Asmaa Boujibar, Aziz Bihi, Othman Laraki… Ils sont médecins prestigieux à New York ou à Berlin, chercheurs de renommée au Japon ou au Canada, ingénieurs créatifs aux Etats-Unis ou en Allemagne, économistes à Paris ou Montréal, enseignants d’un peu de tout un peu partout, hauts dirigeants de grandes entreprises dans de grands pays… Regardons la composition de la commission Benmoussa et observons combien de têtes pensantes, de têtes chercheuses y figurent, venues d’ailleurs…

6 ou 7.000 médecins en France, 600 ingénieurs qui quittent le Maroc chaque année, et 60.000 étudiants à l’étranger, dont une grande partie ne reviendra pas, et on a même deux SG adjoints de l’ONU, des politiques de premier plan en Europe… l’Etat devrait penser à eux, nous devrions tous y songer… car le Maroc ne saurait se contenter de la simple coterie des X-Ponts qui y tiennent tout et en détiennent le reste !

Aujourd’hui, le Dr Slaoui est au sommet de sa gloire ; il est certes marocain mais se sent et se dit américain. On ne peut lui en vouloir et bien d’autres, moins connus mais tout aussi compétents dans leurs domaines, ont agi comme lui, épousant les nationalités des pays qui ont cru en eux. Ils sont partis et ne reviendront pas, mais ils restent marocains et surtout, avant tout, ils savent comme nuls autres pareils semer les petites graines qui, au fil du temps, grandissent et forment de grands arbres protecteurs. Que l’Etat marocain s’approche d’eux et s’appuie sur eux, et ils pourraient, sinon revenir, du moins...

dissuader les jeunes encore chez nous à y rester, s’ils ont les moyens de leurs spécialités.

En 2006, le roi Mohammed VI avait eu l’excellente idée de confier à Mostafa Terrab les rênes de l’OCP, alors vendeur poussif de poussières devenu en 10 ans leader mondial de l’engrais, voire de l’engrais intelligent. Cela a donné une grande richesse, 1337, l’université Polytechnique de Ben Guérir, le slurry pipeline, le Policy Center (avant qu’il ne vole de ses propres ailes), … de la réflexion, de la prospective, et de la recherche, la recherche, la recherche... La raison en est simple : l’intelligence attire l’intelligence et il suffit de scruter la somme des compétences intégrales et des connaissances intégrées qui gravitent dans et autour du Groupe.

Aujourd’hui, si on ne sait pas de quoi demain sera fait, on peut d’ores et déjà constater que partout dans le monde les économies sont étranglées, que les finances sont exsangues, les sociétés au bord de l’apoplexie et les responsables politiques hagards. Mais le pouvoir et les hommes de pouvoir sont ainsi faits qu’ils exècrent les (r)évolutions. Or, que le monde change ou non, seuls ceux qui renouvelleront leurs paradigmes, innoveront dans leurs comportements et rénoveront leurs politiques sortiront plus forts de cette crise mondiale.

Si le Maroc persiste dans sa politique de « Slaouisation », c’est-à-dire former des élites ou les préparer puis les voir partir, rien de bon ne sortira de la situation présente. Si le Maroc pense à l’inverse dans la logique « aux grands maux les grands moyens », et « à crise inédite solutions inédites », il dispose de la connaissance et des compétences nécessaires, urbi et orbi, et il pourrait ainsi basculer dans la terrabisation de son économie. Quant à l’argent, on en trouve partout quand on le veut.

Que de petits pays, plutôt lointains, ont su s’imposer par la recherche et la technologie. C’est aujourd’hui notre seul moyen de réduire, voire annuler, l’écart. Si le Maroc décide aujourd’hui de jouer dans la cour des Grands, avec sérieux et obstination, ailleurs que dans les dépêches officielles, s’il sait plaire à ses enfants partis et s’il se donne les moyens de retenir ceux encore là, alors l’espoir peut naître… et les Dr Slaoui à venir seraient nommés à Rabat et non à Washington, à Paris ou ailleurs.

Aziz Boucetta