(Billet 329) – La Covid-19 ou la double peine des femmes

(Billet 329) – La Covid-19 ou la double peine des femmes

Quand tout cela finira, que la Covid-19 ne sera qu’un mauvais souvenir passé et ses conséquences une frayeur diffuse pour l’avenir, on remarquera que la brutalité physique n’est pas la seule chose dont les femmes auront été victimes. Sur les plans psychologique et économique, la violence est tout aussi marquée, sinon plus.

Elles sont en première ligne dans bien des domaines… Elles sont infirmières, elles sont caissières, elles sont mères de famille, et elles sont souvent aussi – et on l’ignore – soutiens de familles, elles sont mercières ou institutrices, épicières ou agricultrices, vendeuses ou coiffeuses… Et dans la plupart de ces cas, elles ne sont pas déclarées comme travailleuses, et n’ont donc droit ni à l’indemnité CNSS ni à celle réservée aux gens du secteur informel.

Mais partout, à une écrasante majorité, la charge familiale repose sur elles et leurs épaules frêles. Ce sont les dames qui gèrent la maisonnée, préparent les repas, et souvent font la vaisselle et le linge… et quand les enfants sont en bas-âge, l’âge le plus difficile en temps normal et le plus éreintant en temps de confinement, ce sont toujours elles qui s’en occupent. Durant cette pandémie, la charge des seniors incombe également aux femmes

Les chiffres, pour souligner cela : Au Maroc, les femmes représentent 57% du personnel médical, 66% du personnel paramédical et 64% des fonctionnaires du secteur social. Elles sont plus de 85% à exercer dans des métiers largement féminins comme les caissières en grandes surfaces, les centres d’esthétique, les salons de massage… Selon le HCP, 95% des femmes consacrent 5 heures /jour aux activités domestiques ; cela en temps normal, où elles ont la maison à elles seules, mais en temps de confinement, lorsque toute la famille est là, ce temps est bien plus pénible…

Plus encore, pire même : au Maroc, seule une femme en âge de travailler sur cinq a un métier. Le taux d’emploi des femmes est passé de 29% en 2000 à 19% en 2018, et ce taux sera appelé à baisser encore...

du fait des massives pertes d’emploi dans les rangs féminins. Et un ménage sur cinq est pris en charge par une dame…

Le royaume a adopté durant ces dernières années deux textes juridiques qui, idéalement et en principe, devaient changer la vie des femmes. Il s’agit des lois 103-13 contre la violence à l’égard des femmes, et 19-12 sur le travail domestique. Si la police s’est organisée pour faire face aux violences conjugales sous toutes leurs formes, la justice traîne encore le marteau et la société reste toujours aussi intraitable et impitoyable. Pour les travailleuses à domicile, et un an et demi après l’entrée en vigueur du texte, un peu plus de 500 contrats de travail ont été enregistrés !

Mais toutes ces femmes, actives ou non, urbaines ou pas, ultra diplômées ou peu instruites, mariées, veuves ou célibataires, encaissent durement la crise de la Covid-19. L’ONU Femmes s’en inquiète : « l’augmentation de la charge des responsabilités domestiques et familiales en temps de pandémie et de quarantaine, notamment avec la fermeture des écoles et la présence des enfants à la maison ont il faut s’occuper et garantir l’éducation, a des conséquences sur le maintien en emploi des femmes.  La crise actuelle pourrait avoir un impact différencié important en termes de perte d’emploi par les femmes ». La double peine du travail pénible à la maison et du risque de la perte d’emploi…

Dans le Maroc à reconstruire que nous trouverons demain en sortant du confinement et en entrant dans la grande crise qui se profile devant nous, il appartient aux décideurs de se pencher avec sérieux sur la question des femmes, sans lesquelles rien de bien ne saurait être réalisé. La Commission Benmoussa, malgré son petit tiers de femmes, est composée de gens sensibles aux questions du genre. Espérons qu’ils pourront rendre aux femmes la place qui devrait être la leur au sein du tissu social... car au-delà de l'injustifiable et condamnable violence physique, les Marocaines souffrent de l'indifférence et du manque de reconnaissance !

Aziz Boucetta