(Billet 299) – Pense-t-on (assez) aux Marocains bloqués en terres étrangères ?

(Billet 299) – Pense-t-on (assez) aux Marocains bloqués en terres étrangères ?

On ne le dira jamais assez, en ces temps de crise sanitaire globale, le Maroc a pris globalement les bonnes décisions au bon moment. Suspendre les vols avec la Chine le 31 janvier, puis avec l’Italie le 10 mars, puis boucler ses frontières internationales le 14. Le Maroc s’est fermement enfermé pour se protéger. Mais ce faisant, des milliers de Marocains sont restés à l’étranger, coincés, angoissés et socialement déclassés dans des pays étrangers eux-mêmes totalement dépassés.

Au tout début de la crise, le roi avait donné le ton : on s’occupe de nos ressortissants à l’étranger. Deux avions étaient alors promptement partis en Chine et avaient rapatrié les 167 Marocains y résidant. Une fois sur le sol national, ces gens ont tous été pris en charge par les services sanitaires nationaux, civils et militaires, pour être isolés et placés en quarantaine. Dont ils sont entretemps sortis.

Pour sa part, le ministère des Affaires étrangères, selon les informations recueillies auprès des citoyens et des services consulaires et diplomatiques, centraux ou à l’étranger, a fait de l’excellent travail. Il n’est pas facile de mobiliser toute la communauté diplomatique, en faveur d’une population de plusieurs milliers de personnes, désemparées et anxieuses, éparpillées et énervées. Il fallait de l’organisation, et les choses ont été organisées par le ministère. Il fallait de l’argent pour prendre en charge des frais de Marocains bloqués en dehors de chez eux, et le ministère a débloqué les fonds, par essence toujours insuffisants en pareils cas.  Tout cela s’est fait en silence, dans un mutisme informationnel presque total, en entre-soi, ce qui est bien dommage. Il aura fallu chercher l’information à coups de maillet car à la chancellerie, ni M. Bourita ni ses collaborateurs ne veulent s’exprimer, ni ne répondent aux appels téléphoniques, ni ne rappellent plus tard…

Cette crise nous aura appris qu’en 2020, être marocain ne revêt pas la même signification qu’il y a 20 ou 30 ans et plus. Avant, les Marocains ne pouvaient compter que sur eux-mêmes et surtout, devaient se méfier de l’Etat. Aujourd’hui, et surtout avec cette crise, les Marocains découvrent qu’ils ont un Etat bienveillant, entreprenant, qui, avec ses maigres moyens, fait aussi bien, sinon mieux, que d’autres nations...

bien plus riches, bien plus puissantes. Ou du moins essaie vaillamment.

Mais ce n’est pas suffisant…

Que faire de ces milliers de Marocains, résidents au Maroc, partis à l’étranger pour conférences, travail, tourisme, soins en France seulement, il y a environ 2.000 personnes bloquées)... ? Aucune personne sensée ne répondra sérieusement qu’ils devront se débrouiller par leurs propres moyens. Alors que faire et qu’en faire ?

Pourquoi les avions qui venaient à vide de France et d’ailleurs au Maroc pour chercher les Français ou autres bloqués chez nous ne ramenaient pas nos nationaux ? Les compagnies et leurs Etats refusaient-ils d’embarquer des Marocains potentiellement contaminés ? Le ministère a-t-il une réponse ? Si oui, le public a le droit de savoir, et si non, c’est regrettable… Pourquoi l’Etat marocain n’assure-t-il pas des navettes par ferry entre Algesiras ou Tarifa et Tanger, pour les Marocains, résidents au Maroc, qui auraient réussi à rallier ces villes ? Le gouvernement ne pourrait-il pas faire savoir aux Marocains bloqués en Europe qu’il assurerait leur rapatriement maritime s’ils arrivaient à Tarifa, comme le font tant de gouvernements étrangers pour leurs ressortissants arrivés à Tanger ?

L’article 24 de la constitution dispose qu’ « (…) est garantie pour tous, la liberté de circuler et de s'établir sur le territoire national, d'en sortir et d'y retourner, conformément à la loi ». Y a-t-il une loi d’exception interdisant aux Marocains de retourner chez eux ? Et quand bien même elle existerait, est-il moral d’abandonner nos ressortissants en terres étrangères, avec tous les drames humains qu’ils pourraient connaître ?

Cela coûterait de l’argent mais le Maroc paie les hébergements et autres frais à gros bouillons d’argent. Cela présenterait certes aussi le risque d’importer la pandémie, mais là aussi, l’Etat devra mettre en œuvre ses moyens civils et militaires pour les quarantaines. L’argent et les risques ne sont pas des motifs valables.

Les circonstances sont exceptionnelles, on le sait, mais c’est dans de pareils cas qu’un Etat montre qu’il est exceptionnel. Cette crise nous aura montré tant de choses en nous… n’oublions donc pas nos ressortissants retenus à l’étranger. Ce que l’Etat marocain a jusque-là réalisé est beau, pourvu que l’image de ces Marocains bloqués à portée de vue de leur pays n’assombrisse pas le tableau.

Aziz Boucetta