(Billet 154) – L’affaire Hajar Raïssouni entre la loi, la foi et les droits

(Billet 154) – L’affaire Hajar Raïssouni entre la loi, la foi et les droits

Hajar Raïssouni a été arrêtée, avec son gynécologue, pour s’être soumise à un avortement, ce qui est juridiquement interdit. La société civile est montée au créneau parce qu’elle estime que cette juridiction anti-avortement est moralement répréhensible. La police ayant procédé à l’interpellation a transmis le dossier, et la prévenue, à la justice, et la justice doit se prononcer, sachant qu’entretemps l’expertise médicale demandée par elle-même aurait conclu qu’il n’y a pas eu d’avortement.

Plusieurs questions restent en suspens et plusieurs constats restent à établir.

1/ L’avortement. Il est interdit par la loi, mais dans la pratique, on estime qu’au Maroc il se pratique néanmoins quelques 500 interruptions de grossesse par jour. C’est normal, car on peut tout interdire, sauf l’amour, auquel cas on bascule vers « les amours interdites », une merveille littéraire mais une ineptie juridique. La loi doit changer, et le roi avait donné ses instructions en 2015 pour la faire évoluer, pour l’assouplir en légalisant les avortements dans les cas précis du viol, de la maladie et de l’inceste. Cela n’a pas été fait, pourquoi ?

2/ Le droit de disposer de son corps. Il est indiscutable. On ne peut élaborer une constitution et des lois qui consacrent toutes les libertés, accepter que les femmes utilisent tous les organes de leurs corps (cerveau, opérations/ablations, dons d’organes …) mais pas leur vagin, décrété propriété publique et sociale. Le problème est que l’écrasante majorité de la population, conservatrice, serait opposée à l’interruption de grossesse, comme dans tant de pays où la bigoterie l’emporte sur la Raison. Or, la démocratie est en quelque sorte la dictature de la majorité, mais on n’a pas encore trouvé mieux. Il faudra faire évoluer les mentalités et cela passe par l’éducation et nécessite du temps, beaucoup de temps. Le défi est d’harmoniser la loi et la foi, dans le respect des droits.

3/ Le règlement de comptes. On dit ici et là, et de plus en plus fort, que l’Etat s’est vengé de Hajar Raïssouni pour ses positions en faveur des événements du Rif et de Nasser Zefzafi. Il est vrai qu’on ne prête qu’aux riches mais il faut aussi admettre qu’en la matière, l’Etat a considérablement évolué et a renoncé...

à ce type de pratiques, mais on l’accable encore et toujours. Il faudra du temps pour qu’on accepte enfin de reconnaître que les erreurs, voire les dérapages et les engrenages judiciaires existent, sans lien avec l’Etat. Et Mme Raïssouni n’est pas la seule personne à avoir pris fait et cause pour les détenus du Rif.

4/ Le manque de communication. La police a interpellé Mme Raïssouni pour avortement illégal et le procureur l’a placée sous mandat de dépôt. Au vu des charges et des décisions prises, la question est passée du fait divers à une affaire d'opinion publique. Mais le parquet n’a pas communiqué. Erreur d’appréciation de la gravité de la chose, car l’opinion publique s’interroge logiquement sur les raisons ayant poussé à arrêter la seule Mme Raïssouni et non au moins quelques dizaines de femmes avortées chaque jour, sur les centaines estimées.

5/ L’émotivité. Pourquoi donc personne ne s’interroge sur le fait que Mme Raïssouni a reconnu elle-même s’être mariée par la lecture de la Fatiha ? Elle est journaliste, donc au fait des lois, et son « mari » est universitaire, donc au fait du droit. Police et justice doivent assumer cette arrestation hors du temps, mais Mme Raïssouni doit également assumer sa mauvaise défense par le mariage coutumier.

Ce qu’il manque à ce pays, d’abord et avant tout, est de se réconcilier avec lui-même. Ce qu’il manque également, d’une manière forte et résolue, est cette communication publique qui tarde souvent à intervenir au bon moment, laissant les choses se crisper et les nerfs se tendre. Or, en ces temps de grands changements annoncés, il faut prendre conscience que rien de bon ne saurait être fait et réussi sans une société en ordre de marche, apaisée et réconciliée avec elle-même et confiante dans ses institutions.

Si la police a largement réussi sa mue (tout étant perfectible par ailleurs), il appartient à la justice de lui emboîter le pas… en attendant que la politique avance également et prenne ses responsabilités, et aussi de l’épaisseur, en légiférant comme il se doit et en expliquant sa légifération.

Dans l’attente, et malgré la loi, les errements des uns et les énervements des autres, Mme Raïssouni ne peut-elle pas recouvrer sa liberté ?

Aziz Boucetta