(Billet 139) – La Chambre des Dépités

(Billet 139) – La Chambre des Dépités

Ils se voyaient ministres, ils se voyaient plus grands, ils se voyaient moins glands… Ils se rêvaient un avenir national, être reconnus dans la rue, être écoutés dans les salons et adulés dans les chaumières, être respectés partout et même ailleurs… Las. Avec la meilleure volonté du monde, on ne peut former un gouvernement avec 395 ministres, même en comptant les sous-ministres et les secréternes d’Etat. Alors nos députés sont devenus dépités, et ils le font savoir…

Leur job est supposément de contrôler le gouvernement ; ils font plus, ils éreintent les ministres, les harcèlent, les malmènent, pour rien d’autre qu’être et paraître. Mais à défaut de véritablement contrôler l’exécutif, ils se contentent de trôler dans les couloirs du parlement, dans les salles et les allées des pas perdus, les lieux où les plus perdus se trouvent et se retrouvent.

Puis arrive une loi, importante, plus connue sous son nom de code 51-17 ; une loi sur l’enseignement qui, comme son numéro l’indique, ne date pas d’hier. Elle dit beaucoup de choses, sur la gratuité de l’enseignement, sur le préscolaire et sur les langues d’apprentissage. Là, levée de boucliers de certains députés peu informés et d’autres, à l’esprit plutôt déformé : la raison glapie est qu’on ne touche pas à l’arabe. Soit, le raisonnement est puissant et indiscutable.

Les deux catégories d’élus n’ont pas compris qu’avec leur bac en poche, la plupart des jeunes ne maitrisent ni l’arabe, ni le français, et encore moins l’anglais. Pas grave, on ne touche pas à l’arabe quand même. C’est une question de souveraineté,...

d’identité, de postérité, disent-ils, des trémolos dans la voix. L’arabe était la langue de la culture et de la science en Europe, assènent-ils avec force, omettant néanmoins avec prudence de préciser que c’était au Moyen-Age… Entretemps, les sciences et la connaissance ont migré vers d’autres langues, sans que l’arabe ne traduise rien.

Seuls le Moukrie Abou Zaid el Idrissi et un très bon copain à lui ont maintenu leur refus. Le premier est au fait de tout et parfait en tout, lui dont les longs discours finiront par battre les records de Fidel Castro ou, plus proches de nous, d’Emmanuel Macron… Ce député, qui affirme très sérieusement que la Nasa a créé une cellule secrète pour s’inspirer du Coran, qui estime doctement que Stephen Hawking était un idiot, est très certainement intelligent, lui qui est né d’un « spermatozoïde féminin », soufflait-il un jour de grande inspiration. Mais grâce à Dieu, les autres députés n’ont pas son intelligence et ont permis de sortir la loi de son mouroir.

Toujours est-il qu’en ce jour béni du 16 juillet, la commission de la Chambre a adopté la 51-17, à l’issue d’un artifice parlementaire qu’il serait fastidieux de développer ici. Retenons que les fulgurants Istiqlaliens et les récalcitrants PJDistes ont finalement renoncé à leur geste de démagogie pour un zeste de pédagogie. Les députés pourront donc reprendre leur somnolence pour les uns, leur veille pour les autres, sous les regards de plus en plus interrogatifs d’une opinion publique face à  une Chambre des députés en si piteux état.

Aziz Boucetta