(Billet 91) – Le pont de Sidi Maârouf, suspendu ou en suspens ?

(Billet 91) – Le pont de Sidi Maârouf, suspendu ou en suspens ?

Rarement un ouvrage d’art aura fait couler autant de salive, d’encre et de bile. C’est le cas pour le pont à haubans de Sidi Maârouf, à l’entrée sud de Casablanca. Les habitants de la ville, et les visiteurs aussi, ont vu cette chose se construire lentement, quasi laborieusement, pierre par pierre, câble par câble... Pourquoi se presser au demeurant, au risque de stresser ? Eriger une pile – inclinée s’il vous plaît – de 80 mètres de haut, à laquelle on accroche 27 haubans (câbles), ça prend du temps, surtout quand on ne sait pas construire ce genre de machin et qu’on veut faire dans la complexité.

Les travaux de fondations ont commencé en janvier 2016, pour un coût total prévu de près de 500 millions de DH et une longueur de tablier ahurissante de 224 mètres. Trois années et demi plus tard, nous y sommes encore… Le pont Mohammed VI sur le Bou Regreg, lui, quatre fois plus long que notre truc casablancais et infiniment plus haut, a nécessité seulement deux fois plus d’argent et 6 ans de travail. Pour le pont de Sidi Mariolle, on a eu une promesse d’ouverture imminente ; depuis, ces promesses sont devenues juste permanentes.

Et ainsi, entre les gens du génie-civil et les mauvais génies, nous y sommes toujours… pourquoi ? Pas de réponse. Alors, on se lance dans les conjectures. Le truc n’est pas solide ? Allons bon… des tests ont été effectués : 14 camions de 28 tonnes y ont...

défilé, sous l’œil des ingénieux. Et ô miracle, à la stupéfaction générale, le pont a tenu, même pas tordu ! Pourvu que ça dure… Alors on dit qu’on attend l’inauguration. Ah ! Par qui, demande-t-on ? Les édiles coupent le téléphone et l’écoute. D’accord. Les travaux périphériques ? Ils sont quasiment finis. Alors ? Alors rien. Personne ne parle, ni ne veut parler ; rompez le (hau)ban ! Il doit y avoir anguille sous le pont, et on dirait que personne n’est responsable de ce machin, ni le maire Omari ni le père Bakkoury…

Ah, il y a peut-être la malédiction du lieu, commencée avec la construction, puis la déshérence, du Technopark, construit dans les années 90 pour abriter la douane, avant que ladite douane ne change d’avis et ne s’installe à Rabat... Une fois achevé, le gros machin, baptisé Goldorak par les facétieux Casablancais, était resté en jachère pendant quelques années avant de trouver acquéreur…

Et pourtant, cette belle ouvrage de pont devait offrir à Casablanca une entrée majestueuse… Las… Avec un pont si lent qu’il fait l’hilarité, avec un tablier si bas qu’un rond-point s’est pendu, écoutez-les craquer, les longs haubans, qui sont les nôtres… Alors, pont suspendu ou pont en suspens ? Nul ne sait avec précision, sauf que le feuillepont à suspense continue, sans que personne ne dise rien à personne. On attendra donc, et pour le respect de citoyens, on attendra aussi et tant pis pour le dépit en phase ascensionnelle.

Aziz Boucetta