Zoom n°57: Afrique, une démocratie prise en otage

Zoom n°57: Afrique, une démocratie prise en otage

L'Afrique est un continent de dictateurs. Selon l'indice de démocratie du magazine «Economist», seuls neuf des 50 pays répertoriés sont vraiment gouvernés démocratiquement, et plus de la moitié sont sous régime autocratique. Les élections sont manipulées, l'opposition réprimée et les manifestations dispersées par la force. Les conséquences de ces politiques sont d’ordre social, économique et humanitaire. Et dans son corollaire l’Afrique voit ainsi toute velléité de développement s’évaporer, car la situation a aussi engendré des vagues d’immigration continues.

On parle de l'Afrique comme le continent de l'avenir en perpétuel devenir, riche en matières premières, il va connaître une croissance économique moyenne de 7% par an pour les 30 prochaines années, soit un développement équivalent à celui de la Chine durant la précédente décennie. Au demeurant, les problèmes récurrents de gouvernance étatique et les conflits de tous ordres montrent qu'il reste un long chemin à parcourir.

En plus, la poussée migratoire africaine et les difficultés d'intégration qui en résulte inquiètent les pays du nord de la méditerranée. Pourtant les relations multiséculaires entre l'Europe du sud et l'Afrique montrent une certaine  communauté de destins. 

Cette communauté de destin n'a pas été prise en compte lors de la création de la Communauté Économique Européenne par le traité de Rome en 1957, ni par son héritière, l'Union Européenne entrée en vigueur en 1992. Mais cela n’a pas empêché les institutions financières internationales  d’apporter leur soutien à l’Afrique. Toutefois, le rêve n'est plus admis, l'Afrique de demain ne sera jamais la Chine d'aujourd'hui, la politique démographique malthusienne de ce pays, notamment celle de l'enfant unique pendant plus de 30 ans, a pu consacrer tous les moyens issus de son développement à sa croissance. En Afrique, par contre, avec un taux moyen de fécondité de 3,6 enfants par famille, qui monte même à 4,8 dans la partie subsaharienne, la plus grande partie de la richesse créée reste  consacrée aux besoins primaires.

Certes, l'Agence Française de Développement (AFD), le Fonds Monétaire International (FMI),  la Banque Africaine de Développement (BAD), la Banque Européenne d'Investissement (BEI) et bien d'autres mais surtout les Chinois ont proposé des financements qui permettent la réalisation de projets structurants. Mais la corruption endémique a permis aux dirigeants et aux divers tenants du pouvoir  de détourner entre 50 et 60 milliards de dollars en 2008, selon Transparency International.

Des États patrimoniaux

La culture africaine traditionnelle africaine oblige celui qui détient le pouvoir ou l'argent d'en faire bénéficier l'ensemble de ses proches.  Ce système de redistribution, d'une variante archaïque, est contraire au système édicté par les principes de bonne gouvernance, d’équité et de justice sociale. Ces dignitaires ont une fâcheuse tendance à appliquer comme doctrine politique l’accaparement des biens publics. Comme on le constate à travers l’affaire des biens mal acquis qui vise les présidents à leurs familles au Gabon, au Congo Brazzaville et en Guinée équatoriale. Ces pays cités ne sont que « la partie émergée d'un iceberg » car le problème est beaucoup plus global, comme l'avait si bien montré Pierre Péan dans son best-seller intitulé « Affaires africaines ». 

Indiscutablement, les Occidentaux ont favorisé cette dérive en encourageant le maintien au pouvoir de politiciens de plus en plus âgés pour assurer la stabilité des pays. Ces « vieux sages » ont en moyenne dix ans de plus que les dirigeants européens. L’incohérence est criarde, ces « vieux sages » sont-ils capables de comprendre et gérer une population dont 40% ont moins de quinze ans.

L'ancien président d’Elf Loïk Le Floch-Prigent a rappelé dans un livre intitulé « Carnets de route d'un Africain », que les « démocraties africaines » ont ainsi laissé ouvrir une brèche dans laquelle se sont engouffrés le Burundi, la Guinée, la côte d'ivoire et bien d'autres. Toutefois, l’auteur d'avertir qu’il faut du « courage ou de l'inconscience pour être opposant » dans ces élections aux résultats officiels souvent...

contestables au regard des standards  internationaux trop souvent bafouées.

 En Afrique ceux qui veulent apporter un nouveau souffle à la démocratie sont marginalisés par les tenants du pouvoir notamment dans les pays d’Afrique francophone. Au Congo Brazzaville, le général Mokoko est menacé d’assassinat, au Rwanda, l’opposante Victoire Ingabire Umuhoza est obligée de se cacher,  au Togo, l'ancien Premier ministre, Agbéyomé Kodjo s’est exilé. Dans d’autres pays francophones, des candidats sont arbitrairement rayés des listes de candidature à la présidence. C’est le cas en Côte d'Ivoire de l’ancien Président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro, où en dépit des injonctions de la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP), se voit décerner un mandat d’arrêt pour tentative de coup d’Etat. Depuis lors, il vit en exil.

Pire encore, au Sénégal, jadis, l'une vitrine de la démocratiie, le président en exercice Macky, à force de tripatouillage constititutionnelle, a fini par asseoir un dictature, au départ rampante, mais aujourd'hui debout. De connivence avec les pouvoirs judiciare et législatif, le président sénégalais, bien qu'interdit selon la constitution de se présenter pour un 3èm mandat, procéde par élimination, avec l'appui de la justice, à ces principaux adversaires. "Je réduirai l'opposition à sa plus simple expression", avait-il lancé au cours d'une conférence de presse. 

Le paradoxe de la richesse 

En sus de toutes ces crises politiques en cours, la situation économique du continent reste préoccupante malgré les richesses dont regorge l’Afrique. Le produit intérieur brut total des 54 pays africains est équivalent à celui de la France. Ceci est dû à la division de l’Afrique entre le Maghreb, l'Afrique francophone, anglophone et lusophone.

Avec des obstacles quelquefois similaires, les problèmes se concentrent principalement dans la zone sahélienne malgré le fait que le continent est un ensemble hétérogène de nations différenciées  par le  niveau des richesses, de la population et du taux de croissance. Par exemple, en Afrique du sud, le revenu moyen annuel par habitant est de 6040 dollars, c'est à dire la moitié de celui du Portugal, comparé du Maroc avec ses 3190 dollars par habitant et du Niger avec ses 410 dollars, soit dix fois moins et 7 enfants par famille. 

En Afrique, nombreuses sont les zones de conflit où la voracité des compagnies minières internationales s'ajoutent à l’opposition ethnique traditionnelle et aux intérêts de pays voisins comme on l'a vu au Liberia et au Burkina Faso pour le diamant, mieux encore, aujourd'hui en L'Ituri, une province de la République démocratique du Congo où la guerre du coltan fait rage. D’ailleurs  les termes, comme « Diamants de sang », « Or des conflits », « coltan sanglant », résonnent dans toute la région et traduisent les difficultés de ces zones.

Face à toute cette situation apocalyptique, les vagues de migrants en provenance de l'Afrique  ne cessent de s’amplifier. Le Maroc, avait suggéré aux pays européens de construire des industries de main d'œuvre afin de retenir la vague de migrants qui affluent vers l’Europe. Ces populations à majorité jeune partent massivement et désertent les territoires les plus démunis .Elles se déplacent en quête d’un avenir beaucoup plus radieux ou d’un environnement moins hostile.

 En Afrique, 10% des migrants viennent vers l'Europe pour atteindre ce « faux eldorado ». Ces hommes et ces femmes prennent d'énormes risques tout au long du trajet car ils traversent des zones du trafic en tout genre ou de guerre dans laquelle ils sont exploités par des trafiquants, les mafias locales, des groupes terroristes et enfin des transbordeurs tous leur font payer des droits de passage élevé ou en nature par le travail forcé ou une exploitation physique ou sexuelle.

L’Union africaine parle d’un Agenda 2063. Mais entre-temps, l’Afrique doit trouver des mécanismes de démocratie, de bonne gouvernance et d’état de droit afin d’atténuer l’impact des  crises récurrentes  mais aussi de se projeter sereinement vers un futur meilleur.

Mouhamet Ndiongue