Entretien: le Maroc dans les problématiques libyenne et sahélienne

Entretien: le Maroc dans les problématiques libyenne et sahélienne

Le Maroc est à un tournant historique dans le cadre de la géopolitique régionale. Epargné lors du « printemps arabe », le royaume avance sa stratégie doucement mais surement. Acteurs majeur des « accords de skhirate », invité par la France sur le dossier du Sahel fait du Maroc un acteur important dans la région.  Pour la Libye qui cristallise les enjeux internationaux plusieurs interrogations restent à être élucidées. Sur cette question, Cherkaoui Roudani (photo), Professeur de la diplomatie dans l’espace euro-méditerranéen Université Agdal Rabat, Spécialiste des questions géostratégiques et sécuritaires, évoque « la dimension idéologique du conflit qui montre qu’elle est devenue un paramètre essentiel dans le repositionnement dans le maillage stratégique compliqué des alliances entre les pays arabes dans leurs quête de trouver une place dans le nouvel ordre arabe». 

A propos du Sahel, autre enjeu qui polarise plusieurs régions en même et où le rôle du Maroc est souhaité et attendu, Pr Roudani, ancien membre de la Commission politiques des parlements francophones reste alerte: « La BSS a été toujours une région d’influence stratégique pour le Royaume, c’est une zone frontalière à ses provinces du sud. La présence des vides géopolitiques dans cette région ne peut laisser Rabat insensible devant une éventuelle situation chaotique qui pourrait menacer ces intérêts vitaux, critiques et stratégiques ».

Enfin sur les ouvertures de consulats à Laâyoune et le paramétrage des frontières marocaines dans sa partie maritime, Pr Roudani précise « la reconnaissance indéfectible et indélébile de la souveraineté entière du Maroc sur ces provinces du sud ». Entretien.

 

Panorapost. Le conflit Libyen cristallise l'attention mondiale avec les différentes positions des grandes puissances. Sur quoi peut déboucher ce conflit où on voit la Turquie de plus en plus offensive. Et où l'Algérie veut lui aussi se positionner ?

Pr Cherkaoui Roudani. C’est une évidence, le conflit libyen s’est largement internationalisé, avec  la présence d’une sorte de guerre par procuration dont les enjeux dépassent la Libye. L’ensemble des parties libyennes sont soutenues très directement par des acteurs extérieurs, dont certains interviennent désormais directement sur le théâtre libyen. Néanmoins, revenons sur le fait que cette crise cristallise l’attention mondiale. Pour expliquer la dimension de la crise à l’échelle de l’ordre mondial, il est important de modéliser la crise avec une décortication des paramètres intrinsèques et les paramètres extrinsèques du système d’équations qui schématise la situation depuis 2011 ou bien peu avant. La Libye se situe dans une région d’influence stratégique, d’une grande importance pour les acteurs que soient européens ou bien pour d’autres pays rivaux sur certains d’autres dossiers. L’espace euro-méditerranéen, géopolitiquement parlant, est un carrefour de plusieurs enjeux stratégiques et géostratégiques. Depuis des années, cet espace est marqué par une dislocation au niveau de la perception de la solution de plusieurs conflits régionaux. De ce fait, la présence de plusieurs acteurs étatiques et non étatiques qui sont impliquées dans les conflits régionaux contribue à une déliquescence qui se caractérise par la multitude d’approches de résolutions proposées afin de tenter de résoudre le problème. Il y dans ce sens, la dimension idéologique du conflit qui montre qu’elle est devenue un paramètre essentiel dans le repositionnement dans le maillage stratégique compliqué des alliances entre les pays arabes dans leurs quête de trouver une place dans le nouvel ordre arabe. De fait, ce conflit façonnera sans aucun doute ce nouvel ordre arabe qui se dessine. De surcroit, la géopolitique du gaz dans la méditerranée orientale reconfigure aussi les alliances stratégiques. De fait, la Turquie cherche d’étendre son influence via l’élargissement de ses frontières maritimes dans la Méditerranée orientale où d’importants gisements d’hydrocarbures ont été découverts ces dernières années autour de Chypre.  Sa présence dans le conflit libyen et d’ordre géostratégique.  L’engouement d’Ankara de signer des accords cadres avec Tripoli sur la zone économique exclusive  et même militaire n’est pas pour les beaux yeux des libyens. La rivalité montante dans la zone autour de plusieurs gisements de gaz et de gazoducs entre la Turquie et l’axe Chypre, Grèce, Egypte et Israël trouve son points de chute dans le conflit libyen.  D’un côté, l’accord sur le gazoduc East Med de 2000 Km signé entre Chypre, Israël et la Grèce et soutenu par certains pays arabes dont l’objectif est d’alimenter le sud de l’Europe. De l’autre, la Turquie, dépourvue des ressources énergétiques notamment gazières tributaire à son essor économique, cherche à tout prix à explorer les  gisements gaziers au large de la péninsule du Karpas revendiquée par le Chypre.  La divergence entre les pays européens continue de diviser l’union géopolitique de la rive de la méditerranée. Pour dire aussi que le conflit est clairement lié aux intérêts en compétition sur le plan économique et énergétique et les perspectives de la reconstruction du pays  dans le secteur BTP et infrastructures. Eu égard à ces développements, la solution de l’équation libyenne est devenue plus compliquée car une solution politique se trouve dans le rôle des acteurs extérieurs. Il me semble que ce problème va persister parce qu’il y a plusieurs conflits internationaux qui se sont greffées au conflit libyen.  Avec un autre langage réel, le contexte international est très  défavorable à la conclusion d’un accord équilibré qui puisse être mis en œuvre et respecté par les protagonistes.

L’Algérie, quant elle, cherche de se refaire une virginité diplomatique dans une réalité géopolitique régionale dans laquelle ne joue plus aucun rôle.

L'UE déclare vouloir travailler avec le Maroc pour lutter contre le terrorisme dans le Sahel. Comment le terrorisme au Sahel peut constituer un enjeu géostratégique pour le Maroc ?

Le Sahel, comme je l’ai bien souligné dans une tribune publiée récemment dans le magazine Conflits, est une hydre de l’insécurité en construction notamment dans la région Liptako-Gourma entre le Mali, Burkina Faso et le Niger, communément appelée zone des trois frontière. Le sahel, sur le plan géostratégique, est le continuum de deux régions si importantes pour la géopolitique du gaz ainsi que pour la sécurité et la stabilité de tout un ensemble de terres regorgeant des matériaux critiques et stratégiques pour les nouvelles technologies du XXI siècle. C’est une zone d’influence stratégique d’où l’intérêt de plusieurs puissances à créer des points de chute et à tout prix afin de sécuriser d’une part leurs intérêts stratégique à l’image de la présence des USA dans le Golf de la Guinée. Pour les américains, le golf de la guinée constitue outre son importance gazière une voie de navigation polaire qui facilite l’accès aux gisements de ressources naturelles, mais aussi une alternative viable aux trajets via le détroit de Hormuz et de Suez qui pourrait être s’enlisé dans l’insécurité à tout moment. Pour la France, qui mène une offensive diplomatique pour adhérer les pays européens à sa perception stratégique dans le sahel, cette région est d’une importance à la fois économique et aussi sécuritaire. Après le Bexit, il est fort probable que la dimension sahélienne représentera un enjeu plus déterminant dans le maillage des relations géostratégique. On ne peut analyser la rivalité dans la BSS sans une lecture des rapports de forces dans l’Indopacifique ou bien dans l’Arctique. Nous sommes dans un monde en reconfiguration et les acteurs impliqués dans les deux zones (USA, Russie, Chine et la France) sont présents dans la BSS (bande sahelo sahrienne). Néanmoins, la mosaïque djihadiste dans la zone a montré une résilience impressionnante. Sur le terrain, en dépit de plusieurs opérations et missions de dimensions internationales ainsi que les forces nationales, l’ensemble a acculé et affaibli. La force de Barkhane, engagée dans la lutte contre le terrorisme, semble s’enliser. Le même constat est affiché lorsqu’on décrypte les résultats de l’initiative de G5 Sahel ou bien Pan Sahel, la mission européenne engagé avec plus de 600 officiers au Mali, Minusma ainsi que d’autres missions des forces spéciales. Outre les attaques terroristes perpétrées par les groupes djihadistes notamment le Groupe Etat Islamique dans le Grand Sahara d’Adnan Abou Walid Sahraoui, un des hommes les plus influents dans le commerce illicite et un narcotrafiquant bien connu avec ses relations puissantes  avec le Polisario et les trafiquants de l’Amérique latine, et le groupe de « Soutien à l’Islam et Musulman » d’Ayad Ag ghali ainsi que Boko Haram et ISWAP, ces mouvements deviennent de plus en plus des acteurs clé sur le plan socio-économique dans la zone lac...

du Tchad. Le danger éminent qui plane réside dans la force de ces groupes d’étendre leurs opérations dans d’autres pays comme le Togo, le Bénin et la Cote d’Ivoire, jusqu’à maintenant sont épargnés, plus au moins, par la contagion terroriste. Le Maroc avec son expertise sécuritaire joue depuis longtemps un rôle important dans la politique mondiale contre la lutte du terrorisme. Il a un montré sa capacité d’anticipation, de démystification ainsi que dans la stratégie d’opérabilité dans cette lutte contre des groupes et des éléments abscons. La coprésidence du Royaume, pour la deuxième fois consécutive du Forum International contre la lutte contre le terrorisme, n’est pas anodine. Le niveau de coopération et de coordination de Rabat que soit au niveau du bilatéralisme ou bien le multilatéralisme sécuritaire a eu des effets immédiats et positifs dans plusieurs pays. Cette expertise sécuritaire marocaine à donner de l’efficacité et de l’énergie à la réponse mondiale contre le terrorisme international.

On doit noter, que le terrorisme est devenu une réalité géopolitique qui commence à peser dans les relations internationales et un sujet très discuté dans toutes les rencontres diplomatiques. Le Maroc est un pays qui reste très sensible et préoccupé par ce qui se passe dans la région et la sous-région. La BSS a été toujours une région d’influence stratégique pour le Royaume, c’est une zone frontalière à ses provinces du sud. La présence des vides géopolitiques dans cette région ne peut laisser Rabat insensible devant une éventuelle situation chaotique qui pourrait menacer ces intérêts vitaux, critiques et stratégiques.  Le Maroc, et c’est une constante dans sa politique étrangère, n’acceptera guère de que la souveraineté et l’intégrité des Etats soit toucher. De fait, alors que le conflit à son paroxysme que soit en Syrie ou bien en Libye, le Maroc, à titre d’exemple, a appelé à la préservation et le respect de l’intégrité territoriale des deux pays. C’est pourquoi, le Maroc en 2012 alors qu’il préside le Conseil de Sécurité n’a ménagé aucun effort pour que la communauté internationale réagisse contre l’insurrection indépendantiste dans la région du Kidal. De ce fait, cette problématique sécuritaire qui règne dans le Sahel et qui imprègne  une nouvelle géopolitique dans la région pourrait aussi constituer une opportunité pour refonder le partenariat stratégique entre le Maroc et l’Union européenne sur des nouvelles bases.

C’est un secret Polichinelle, la Libye depuis 2012, ainsi que la crise malienne temps 2013 et le désordre qui s’en est suivi en BSS ont mis en évidence les défaillances du système euro-méditerranéen et toutes les approches coercitives. Du coup, ce système est devenu caduc et paraît aujourd’hui dépassé face à ces enjeux régionaux susvisés.  Face à des pays du Maghreb en ordre dispersé, face à ce qui se passe dans le sahel, il semble important que le Maroc et les pays occidentaux, avec qui Rabat entretient des relations fiables et viables, pourraient avoir des stratégies complémentaires pour faire face à cette recrudescence de l’extrémise religieux et la violence intercommunautaires. Un autre acteur majeur dans la région qui veut avoir sa part dans les recompositions géopolitiques qui s’y déroulent. Il s’agit des USA qui s’intéressent à cette région comme le dénote une multitude des initiatives de coopération avec le Maroc. Il s’agit là d’une opportunité à saisir dans le contexte du blocage du processus d’intégration régionale du Maghreb. La rivalité entre les Etats-Unis et les pays européens sur plusieurs questions a des répercussions sur la politique globale de défense et de sécurité dans la région. Mais au-delà de la demande européenne faite au Maroc, c’est une aubaine pour Rabat que de pouvoir démontrer au monde qu’il est aussi capable d’assurer des missions relevant de la hard security en Afrique ou ailleurs.  Ce faisant, le Maroc peut ambitionner de passer du statut de moyenne puissance à celui de grande puissance régionale et continentale. Les approches sécuritaires parcellaires au Sahel ont montré leurs limites face à des ennemis abscons. Philip Seguin un homme politique français bien expérimenté avait reconnu il y a longtemps la nécessité de dépasser de regarder le partenariat euromed sous avec le prisme le riche face aux pauvres en rajoutant, je cite, « il faut sortir de ce type d’approche et poser sur la table tous les problèmes concrets existants en Méditerranée »

À cet égard, le Maroc peut être un ingénieur d’une initiative plus ambitieuse lui permettant d’agir sur les relations géostratégiques dans la méditerranée occidentale et s’ériger en acteur dans la nouvelle géopolitique de la zone en question. La difficulté de trouver des solutions  aux équations qui préoccupent la Méditerranée occidentale, incluant la zone du Sahel, sont en grande partie inhérente à l’absence de synchronisation des approches pour faire face au terrorisme ainsi que les fléaux fleurissant dans son sillage. De fait, cette situation pourrait être un cadre propice d’une restructuration stratégique du bilatéralisme sécuritaire du Maroc avec ses alliées impliquées dans la région. 

Au vu des ouvertures de consulats à Laâyoune et le paramétrage des frontières marocaines dans sa partie maritime. Peut-on dire que le dossier Sahara est entrain d'être plier?

Bien sur ces ouvertures des structures diplomatiques de plusieurs pays sont une reconnaissance indéfectible et indélébile de la souveraineté entière du Maroc sur ces provinces du sud.  Les pays africains à travers cette action passent de l’action diplomatique en reconnaissant la souveraineté marocaine sur ses provinces du sud à l’action politique. C’est un message clair et sans ambiguïté à la communauté internationale de dépasser le statut quo . Outre que cette action politique des pays africains avec tous ces dimensions géopolitiques, ces pays actent par cette ouverture du rôle que peuvent jouer ses provinces dans le développement économique des pays africains notamment l’Afrique de l’ouest. Notons, que depuis le retour institutionnel du Maroc à l’Union Africaine plusieurs choses ont changé et beaucoup de complot ont été déjoué visant l’intégrité territoriale du Maroc ainsi que ses intérêts stratégiques et citriques. Ces actions politiques et diplomatiques ont renforcé les fondements du droit international quant à la marocanité de ces provinces du sud. C’est une action qui s’est accompagnée avec la délimitation des frontières maritimes marocaines. Cette action souveraine du Maroc fixe dorénavant les limites des eaux territoriales et conséquemment la mise en place d’une Zone économique exclusive dont les enjeux ne sont pas qu’économiques mais aussi sécuritaires. N’oublions pas que le Maroc par le biais de cette nouvelle juridiction sur son territoire maritime ne fait que se conformer à la convention internationale de Montego Bay de 1982 que Rabat a ratifié en 2007. De ce fait, et d’après le droit international, la souveraineté marocaine s’étend dorénavant à l’espace aérien ainsi que aux lit et au sous sol de la mer dans les limites des frontières maritimes, va contribuer à une nouvelle géopolitique marocaine. Au niveau sécuritaire, d’après plusieurs résolutions de l’assemblée générale de l’ONU, le Maroc est appelé à renforcer sa politique sécuritaire devant la persistance du problème de la criminalité transnationale organisée en mer, notamment le trafic de stupéfiants et de substances psychotropes, le trafic de migrants et la traite des personnes et des activités qui compromettent la sûreté et la sécurité de la navigation maritime, telles que la piraterie, les vols à main armée commis en mer, la contrebande, les actes terroristes contre des navires, des installations au large et d’autres intérêts maritimes, et surtout avec les effets fâcheux de ces activités en termes de pertes humaines et les répercussions sur le commerce international, la sécurité énergétique et l’économie mondiale. 

Au-delà d’un repositionnement d’une nouvelle  géopolitique marocaine dans le sud ouest de ses territoires, il est important de souligner que cette précision juridique va mettre fin à certains manœuvres visant à créer un vide géopolitique  ainsi que certaines subtilités mal interprétées dans le droit international,  que les adversaires de l’intégrité territoriale manient machiavéliquement pour porter préjudice aux intérêts vitaux et critiques du Maroc. Ce faisant, le Maroc a mis en place toutes les conditions pour que ces relations bilatérales notamment avec l’UE se hissent à un autre nouveau partenariat hautement stratégique. Eu égard à ces deux développements stratégiques susvisés, le Maroc a levé toutes les subtilités  quant à sa souveraineté sur ses provinces du sud et a pu déjoué, ainsi, toutes les machinations de ces adversaires. 

Propos recueillis par Mouhamet Ndiongue