Entretien : Nicolas Gachon décortique les enjeux du « Deal du siècle »

Entretien : Nicolas Gachon décortique les enjeux du « Deal du siècle »

A quelques jours de la conférence pour la présentation du « Deal du siècle », prévue les 25 et 26 juin à Manama (Bahreïn), Nicolas Gachon (photo), maître de conférences en civilisation américaine contemporaine à l’Université Paul Valéry Montpellier 3, spécialiste des questions politiques, fait une radioscopie des enjeux de ce projet proposé par le président américain Donald Trump.

Analysant les axes du « Deal du siècle », Nicolas Gachon explique que le « deal » réduirait de surcroît la taille du territoire palestinien ayant vocation à être véritablement gouverné par le peuple palestinien. Là où les Palestiniens ont toujours lutté pour libérer la totalité de la Palestine historique, le « deal du siècle » ne leur en laisserait qu’une portion congrue.

Pour que le « deal » puisse être concluant, le spécialiste de la politique américaine déclare qu’« il faudrait une contrepartie significative pour faire accepter une telle réécriture du droit et des accords internationaux existants »

Pourtant, les pays arabes qui jusqu’ici n’ont pas manifesté un grand intérêt à la proposition américaine devraient être présents à Bahreïn lors de cette conférence organisée par Washington où, il sera dévoilé les aspects économiques du « Plan de paix » destiné à résoudre le conflit israélo-palestinien.

Avec le boycott proposé par l’Etat palestiniens, « de nombreux chefs d’entreprise palestiniens, ont également rejeté l’offre américaine », qui d’après le spécialiste des Etats-Unis pourrait compliqué l’initiative américaine.

L’homme d’affaires Trump déjà en campagne pour la présidentielle réussira-t-il à conclure le « deal » ?  Entretien. 

Quels sont les grands axes du « deal du siècle » proposé par le président américain Donald Trump?

Tout l’intérêt de la formule « deal du siècle » consiste à faire miroiter une sorte de martingale qui permettrait à court terme de résoudre le conflit israélo-palestinien, comme le candidat Trump l’avait promis lors de la campagne de 2016. Cela étant, l’effet d’annonce a ses limites et les fuites assez nombreuses, ponctuées de déclarations de plusieurs responsables américains, plus ou moins bien orchestrées, tantôt inquiètes, tantôt en forme de ballon d’essai, permettent effectivement d’esquisser les probables grands axes. Le « deal du siècle » validerait le rattachement à Israël des colonies de peuplement en Cisjordanie. David Friedman, ambassadeur des États-Unis en Israël, a explicitement fait part au New York Times de sa conviction qu’Israël, « sous certaines circonstances », « a le droit de conserver une partie, mais pas toute, de la Cisjordanie ». Pas toute, certes, mais une très large portion, et cela pose d’emblée que le « deal du siècle » n’est donc pas adossé à la création d’un État palestinien comme condition préalable à la paix. Le « deal » réduirait de surcroît la taille du territoire palestinien ayant vocation à être véritablement gouverné par le peuple palestinien. Là où les Palestiniens ont toujours lutté pour libérer la totalité de la Palestine historique, le « deal du siècle » ne leur en laisserait qu’une portion congrue.

L’autre grand axe concerne la question des réfugiés palestinien. Le « deal du siècle » pourrait voir Washington appeler à l’implantation des réfugiés dans leur pays d’accueil, avec un accès à la nationalité, en échange d’une aide financière pour les pays d’accueil concernés Une telle disposition écraserait littéralement le statut de réfugié, privant les réfugiés du droit au retour, et semble a priori faire fi des éventuels obstacles constitutionnels dans les pays d’accueil. Enfin, elle ne règle pas la question des réfugiés palestiniens en Israël.

Y a-t-il des manquements qui font que ce « deal » ne soit pas équilibré et qu'est-ce qui pourrait le rendre non concluant ?

Le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a lui-même déclaré qu’il pourrait bien être impossible de mettre en oeuvre le « deal du siècle » lors d’une rencontre avec des leaders israéliens. Il faut dire que les axes qui se dessinent laissent entrevoir ce qu’il...

ne serait pas illégitime d’appeler les « écueils du siècle ». La « Nouvelle Palestine » qui émergerait du « deal du siècle » reviendrait à proposer moins aux Palestiniens que ce qu’ils se sont vus proposer jusqu’ici—et qu’ils ont toujours refusé. Il faudrait une contrepartie significative pour faire accepter une telle réécriture du droit et des accords internationaux existants. Donald Trump s’est toujours présenté comme un homme d’affaire, comme un faiseur de « deals », mais on perçoit mal, ici, comment le « deal du siècle » pourrait, en l’état, et pour filer la métaphore, être un accord « win win ».

La plupart des pays arabes ne semblent pas enthousiastes à ce projet tant vanté par Donald Trump et Jared Kushner, pourquoi ?

Faut-il s’en étonner ? Peut-on espérer régler le conflit israélo-palestinien sans les Palestiniens ? Le « deal du siècle » est rejeté par les Palestiniens avant même d'être présenté, et son annonce a été maintes fois reportée parce que tributaire des secousses du calendrier électoral israélien. En outre, la décision très controversée de Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël en décembre 2017 n’a pu être perçue au Moyen-Orient comme un gage d’ouverture diplomatique et n’a certainement pas placé le Moyen-Orient dans des dispositions favorables. Jared Kushner, gendre et conseiller de Donald Trump, n’accomplit rien de très remarquable, sauf à faire miroiter des aides financières, pour faire passer le fait que le gouvernement américain se place a priori en défenseur de l’occupation israélienne. C’est ainsi que sa récente déclaration selon laquelle les Palestiniens devraient avoir le « droit à l’autodétermination » mais ne sembleraient pas prêt à se gouverner eux-mêmes a des relents, sinon d’administration coloniale, en tout cas d’un ethnocentrisme forcené.

Le « Plan de paix » est proposé au moment où les États-Unis ont ouvert plusieurs fronts au Moyen-Orient, sans compter l'éternelle tension avec la Russie et la guerre commerciale avec la Chine. Que cherche Donald Trump réellement ?

Donald Trump est en campagne électorale et doit avancer sur le dossier israélo-palestinien. Il en a besoin eu égard à ses promesses de campagne, eu égard aussi à une partie de l’électorat américain dont le soutien pourra être décisif en 2020. À l’instar de George W. Bush qui posait fièrement devant un panneau portant la mention « Mission Accomplished » sur un porte-avion américain, pensant avoir définitivement résolu la crise irakienne, le « deal du siècle » permettrait à Donald Trump d’envoyer le plus vite possible un message comparable pour le conflit israélo-palestinien. Qui n’aimerait pas voir Donald Trump, ou qui que ce soit, parvenir à résoudre le conflit israélo-palestinien ? Mais ce conflit est beaucoup trop complexe pour être résolu de manière aussi précipitée, et aussi déséquilibrée dans la négociation. L’ethnocentrisme et la posture dominatrice des États-Unis ont souvent été dénoncés, or Trump commet sans doute une erreur supplémentaire à l’endroit du Moyen-Orient. Il semble convaincu qu’une injection d’aide financière et de nouvelles perspectives commerciales dans les zones palestiniennes, la promesse de dizaines de milliards de dollars en investissements, suffiront à compenser la perte de la Palestine historique aux yeux des Palestiniens. C’est au fond tout l’objet de la conférence prévue à Bahreïn, qui vise à gagner le soutien de chefs d’entreprise palestiniens lors de rencontres axées sur l’économie. Le gouvernement palestinien, comme il fallait s’y attendre, a décidé de boycotter la conférence de Bahrëin, et de nombreux chefs d’entreprise palestiniens, ont également rejeté l’offre américaine. C’est là le signe que tout ne s’achète pas, même pour un président des États-Unis effectivement rompu à l’exercice de la négociation commerciale. C’est plus que jamais vers une solution politique équilibrée qu’un quelconque « deal du siècle » gagnerait à évoluer, mais le temps politique est de plus en plus « compté » à Washington.

Propos recueillis par Mouhamet Ndiongue