« Femme et entrepreunariat  », Hasnae Boutzil décrypte les enjeux (entretien)

« Femme et entrepreunariat  », Hasnae Boutzil décrypte les enjeux (entretien)

Sur la question de « Femme dans l’entreprenariat marocain », elle déclare que « nous avons dépassé la question, aujourd’hui on attend les résultats..., malheureusement et malgré les réformes multiples que notre pays à travers, le travail acharné de l’ensemble des militantes, nous assistons à des régressions dans les classements mondiaux et régionaux du taux de participation des femmes dans l’économie nationale et le taux des femmes associées dans les entreprises. ».

Marocaine, née à Casablanca et mère de 3 filles madame Hasnae Boutzil est ingénieur de formation de l’EMI promotion 1991. Son MBA pont et chaussés décroché en 2012, elle rajoute le MBA MIT en 2014 et MBA HEC en 2016.

Sur le plan professionnel, elle a débuté sa carrière au Groupe OCP depuis 1991 juste à sa sortie d’école. Fidèle au Groupe OCP, madame Boutzil a gravi les échelons pour devenir depuis janvier 2018 la responsable de la filiale 100% OCP SADV en charge d’aménagement et développement vert et aussi opérateur telecom Vsat et 3RP.

Auparavant, elle a démarré comme ingénieur de production au site chimique de SAFI où elle est devenue responsable de projet de rénovation des installations industrielles, ensuite responsable de contrôle qualité et environnement et logistique.

Arrivée à Casablanca, Hasnae Boutzil a hérité d’un poste de responsable de laboratoire d’analyse central avant d’être orientée vers le département environnement du groupe. En 2008, elle rejoint le cabinet du nouveau directeur général du groupe, chargé d’études technique. Dans son parcours figure aussi le poste de responsable PMO du groupe et responsable de performance avant d’être promue comme directrice des achats de l’OCP.

Par ailleurs, Mme Boutzil est active dans le bénévolat dans des domaines sociaux-économiques ceci au-delà des frontières marocaines.

En prélude du Global women Summit (GwS) qui aura lieu les 25 et 26 avril 2019 à Casablanca, où Madame est pressentie comme speaker, Panorapost a saisi l’occasion pour échanger avec elle l’entreprenariat feminin.

Dans cet entretien, la femme militante et cadre au sein du Groupe OCP revient sans détour sur la place et le rôle des femmes dans l’entreprise marocaine. Madame Hasnae Boutzil nous livre aussi sa recette pour que la femme ait la place qui sied dans le secteur socio-économique. 

 

Pouvez-vous revenir sur les accueils qui freinent l'évolution des femmes dans l'entreprenariat ?

Égalité des genres dans les opportunités de travail, dans l’accès aux financement, dans l’accès aux postes de responsabilité et de décision.

Pourtant des politiques sont faites dans ce sens, les lois ont suivi, mais le problème de fond c’est quoi ?

C’est l’application effective de ces lois dans la vie économique. L’intégration des femmes dans l’entreprenariat passe par l’autonomisation des femmes c’est là à mon avis où il y a le blocage. Il fallait préparer le terrain et c’est ce que les organisations ont essayé de faire à travers les dispositions de la constitution de 2011, la moudawana et les textes de lois qui ont suivi. Mais ce n’était pas suffisant pour permettre à la femme marocaine d’être visible dans l’économie de son pays malgré sa présence dans presque tous les secteurs et sa participation très riche là où elle peut intervenir.

La femme Marocaine a certes, parcouru un long chemin, épineux mais positif … Pour permettre à la femme d’être présente efficacement et avec toute son énergie pour booster l’économie de notre pays, il faut encourager son indépendance économique et son autonomie.

 Quid de votre parcours en tant que femme-cadre au sein de l’OCP ?

J’ai intégré l' OCP en 1991 autant qu’ingénieure au niveau du site de Safi, à l’atelier de production d’acide sulfurique comme ingénieur de production, à cette époque j’étais la première femme à avoir un poste de responsabilité dans un monde d’homme. Les femmes ingénieures n’étaient recrutés à OCP que pour des postes support, commercial ou au niveau des laboratoires, pas dans l’exploitation et la maintenance.

En 1991, OCP certes, a osé mettre des femmes dans l’exploitation dont moi, mais pas aux mêmes conditions salariales ni avantages sociaux que nos amis et collègues hommes, accepter cette situation était le prix à payer pour franchir ce pas et intégrer ce secteur réputé être que pour les hommes. Mais aujourd’hui à l'OCP on vit une transformation globale, dans tous les domaines dont les RH ou...

la femme dès son recrutement, est traitée équitablement que son collègue homme.

Un long combat ?

Oui mais les résultats dépassaient nos espérances surtout et grâce au top management conscient et partant pour mettre la femme là où elle mérite d’être.

En chiffre aujourd’hui et grâce à la politique de l'OCP de la Diversité visant à asseoir l’égalité des chances et à promouvoir la diversité, la forte conviction que la diversité est un véritable levier de performance et de captation de compétences. L’engagement durable de la diversité Genre au Maroc et en Afrique, à travers de nombreuses initiatives à fort impact, dans les domaines de l’éducation, de l’entrepreneuriat, du développement social, de la valorisation de la culture et du sport. La politique Capital Humain favorisant l’Égalité des chances, sur les aspects touchant au recrutement, à la promotion, à l’évolution de carrière et à la rétribution.

Concrètement où en est l’OCP ?

Aujourd’hui, le taux de féminisation de nos cadres a plus que doublé ces dernières années : de 14% en 2008 à 33% en 2019, appuyé par une politique de recrutement qui garantit une équité de traitement entre les candidatures dont : 45% des nouvelles recrues ayant rejoint le Groupe depuis 2012 sont des femmes, 51% de nos cadres actuels de moins de 30 ans sont des femmes contre 30% en 2012 et pour compter 8% de Femmes au total.

Toutefois, le taux global est encore bas mais la tendance est bonne et on espère grimper les échelles très rapidement via plus de femmes dans des postes de décision.

Quelle place occupe la femme en 2019?

Aujourd’hui la femme marocaine est présente dans tous les secteurs, politique,  industrie, mine, police, aéronautique… présence timide et parfois significatif en quantité mais peu en qualité… mais elle reste peu présente dans l’entreprenariat… et cela nécessite un travail dès le jeune âge  par les parents surtout la maman…A mon humble avis, il faut faire très attention à l’éducation de nos enfants, c’est la ou on cultive la graine d’entreprenariat et c’est à ce moment aussi ou on crée la différence entre fille et garçon dans la façon de parler, de s’assoir, de s’habiller, de faire le ménage, de sortir, ... , de qui s’occupe de qui et qui s’occupe de quoi ...

Sur quels leviers s’appuyer pour que l'entreprenariat des femmes soit une réalité ?

A mon humble avis, la femme a besoin d’abord et surtout d’acquérir une confiance en elle et ça c’est à cultiver dès le jeune âge à la maison par les parents, à l’école par des programmes dédiés, des interventions d’entrepreneurs dans les classes, des exemples féminins de réussite entrepreneuriale.

Comment voyez-vous l'accès aux financements pour les femmes ?

Les banquiers sont frileux aux risques et parfois par manque de compréhension du projet, elles refusent le financement. Et la femme par sa nature ne prend pas beaucoup de risque et donc là il faut un double accompagnement et des banques pour s’approcher encore plus des femmes porteuses de projets pour mieux les comprendre et rassurer et se rassurer du risque mis en jeux. Et là aussi c’est un travail qu’il faut cultiver dès le jeune âge, la prise de risque, depuis l’école et dans les programmes scolaires. Les banques de leur côté doivent aussi mettre des ressources compétentes pour mieux appréhender certains projets innovants mais non encore connus.

Quel appréciation faites-vous de l'intégration des femmes marocaines dans l'économie régionale?

Au Maghreb et au MENA la femme vit presque les mêmes problèmes, en consolidant les efforts et capitalisant sur les succès story et les lessons learned je crois qu’on ira plus rapidement, ajoutant à cela un marché plus grand pour des initiatives plus importantes. En Afrique subsaharienne, la femme est plus présente et à plus de courage entrepreneurial. Beaucoup de femmes africaines ont sous leur responsabilité des familles à faire vivre, on les trouve dans tous les secteurs, mais pour des petites affaires ne nécessitant pas grand budget. Et à partir de ces exemples, je crois que la femme marocaine peut beaucoup apprendre et peut aussi partager les expériences réussies.

Pour terminer, je tiens à recommander la recette des 3 P toutes les femmes qui veulent réussir ou même s’épanouir : Passion, Persévérance et Patience... et on y arrivera.

Propos recueillis par Mouhamet Ndiongue