Est-ce le début de la fin pour le PJD ?, par Aziz Boucetta

Est-ce le début de la fin pour le PJD ?, par Aziz Boucetta

Cela a tout l’air d’un passage en force d’Abdelilah Benkirane au PJD, en vue de s’y assurer un troisième mandat et d’en verrouiller les structures. Le coup de force a été perpétré ce dimanche, lors de la réunion de la Commission des procédures et réglementations, relevant du Conseil national. En cause, les deux articles 16 et 37 des statuts, appelés à être amendés par le congrès pour permettre à l’encore secrétaire général de le rester, et de diriger son parti à sa guise.

Abdelilah Benkirane a bien manœuvré, tout en douceur, tout en subtilité, mais porté par un ego surdimensionné et par ce qu’il croit être, tout en se retenant de le dire, une humiliation personnelle, après son éviction de la présidence du gouvernement, ce 15 mars 2017. Pendant la période de spleen qui a commencé à cette date et dure encore, l’ancien chef du gouvernement n’a cessé de souffler le chaud et le froid, maniant à merveille les sentiments de ses partisans, plus emportés par l’émotionnel que portés par le rationnel.

Durant ces quatre derniers mois, en réalité, Abdelilah Benkirane menait sa croisade contre son successeur à la tête du gouvernement,  contre ses pairs ministres et membres du secrétariat général, contre l’Etat, contre tout et tous, et distillant ses phrases, généralement petites et furtives, contre le palais. Et il tissait sa toile. Patiemment, tout en s’en défendant.

Celle-ci est clairement apparue hier dimanche 15 octobre, lors de la réunion de la Commission des procédures et réglementations. Cette toile a une double fonction : d’abord lui servir de filet de sécurité à lui, et ensuite de nasse pour ses opposants au secrétariat général.

Et ainsi, d’un coup, brutalement, les membres de cette commission ont voté la proposition d’amendement de deux articles de statuts du PJD. L’article 16 ne permet pas plus de deux mandats successifs au secrétaire général et au président du Conseil national, et l’article 37 définit les membres du secrétariat général, incluant les ministres, ès-qualité. Si ces deux articles sont effectivement amendés par le congrès, Benkirane se retrouvera seul maître à bord du paquebot PJD. Car il sera très certainement réélu et les ministres qui s’opposent à lui ne le seront pas par des congressistes fans de Benkirane.

Ce paquebot tanguera dangereusement car il aura comme capitaine un homme qui se sera réclamé toute sa vie durant des institutions et des règlements, mais qui aura tout fait pour rester en fonction, faisant fi de ces mêmes instituions et règlements, et se décrédibilisant d’autant. Le paquebot...

tanguera également car il aura, en amendant ces deux articles, scindé les PJDistes en deux groupes, exclusifs l’un de l’autre. Et le paquebot tanguera enfin car les électeurs, rationnels, eux, ne comprendraient ni n’admettraient de voir Benkirane agir, finalement, comme un Ziane,  un Archane ou un Laenser (liste non exhaustive).

Une chose est sûre : Le chef du PJD veut le rester. Il ne se résout pas à s’en aller, sinon il l’aurait dit explicitement, coupant la voie à toute discussion sur le désormais fameux 3ème  mandat. Il ne l’a pas fait car il n’aime pas l’ombre, il chérit tout particulièrement la lumière et la célébrité, la notoriété et les faveurs qui vont avec. Pas les avantages matériels, on peut certes lui accorder et lui reconnaître cela. Mais la courtisanerie, le sentiment de puissance, de domination… les têtes qui se tournent à son passage, et qui lui font tourner la tête.

Abdelilah Benkirane a été un chef du gouvernement atypique, un responsable qui a su redonner son lustre à la politique, un dirigeant qui a contribué à la création d’un vrai parti. Il fut un chef du gouvernement hors normes, qui a fait oublier le bien terne Abbas el Fassi, le trop technocrate Driss Jettou et le très taiseux Abderrahmane el Youssoufi. Cela lui a conféré une réelle popularité, et l’estime générale. Mais cela ne lui a pas suffi.  Son parcours des cinq dernières années évoque cette fable de la grenouille et du bœuf…

En nommant, le 17 mars, le Dr Saadeddine Elotmani à la tête du gouvernement, le roi Mohammed VI lui avait précisé, à toute fin utile, qu’il souhaite continuer de travailler avec le PJD… mais il semblerait que l’inverse ne soit pas forcément vrai ! Quel autre message en effet tirer de la reconduction d’un homme à la tête de son parti, après que le chef de l’Etat l’eût déchargé de ses fonctions à la présidence du gouvernement, tout en nommant son second immédiat à sa place, et en lui déléguant encore plus de pouvoirs qu’à son prédécesseur ?

Les cadres du PJD, ministres ou élus, savent tout cela, et c’est pour cela  qu’ils sont opposés à un maintien d’Abdelilah Benkirane au secrétariat général, tout en lui conservant leur estime et leur amitié. Mais la base du parti est émotionnelle. Et c’est par cette faille entre deux conceptions de la politique que le PJD risque de plonger, en donnant crédit aux ambitions d’un homme qui, finalement, n’est pas si différent des autres leaders qui ne quittent leur fauteuil que pour leur cercueil.

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