Abdelilah Benkirane s’est lui-même piégé

Abdelilah Benkirane s’est lui-même piégé

On peut être un homme politique chevronné et malgré cela commettre des erreurs de débutant. C’est le cas du chef du gouvernement désigné Abdelilah Benkirane dans la période actuelle. En méprisant l’USFP de Lachgar et en engageant un bras de fer avec le RNI d’Aziz Akhannouch, Benkirane semble s’être lui-même piégé… à moins qu’il ait un autre plan, celui de l’affrontement avec le palais, dont il sortirait inéluctablement, et bien évidemment, perdant.

Dans sa désormais fameuse prise de parole, le 5 novembre, face aux membres de sa commission nationale, le chef du PJD a repris son langage martial, prenant de haut tout le monde, se fermant à d’éventuelles alliances, croyant être dans une situation de force mais oubliant qu’il ne dispose pas de la majorité absolue, ni seul avec son parti ni avec ses deux alliés le docile PPS et l’opportuniste Istiqlal.

Le bloc PJD/PPS/Istiqlal totalise 183 élus, alors même que la majorité est de 198. Et comme Benkirane a déclaré ne pas envisager de se séparer de ces deux formations, il n’a le choix – on le sait – qu’entre le bloc RNI/UC (56 députés, 83 si on ajoute le MP, un peu en déshérence) ou l’USFP et ses 20 parlementaires.

Or, dans son intervention du 5 novembre, le chef du gouvernement désigné a accablé aussi bien le RNI que l’USFP, en des termes qui frisent quelque peu le mépris mais qui portent assurément toute l’arrogance du monde. Si le Premier secrétaire de l’USFP est imperméable  et hermétique à toute forme d’attaque, concentré sur son objectif qu’il est le seul à vraiment savoir, il en va autrement d’Aziz Akhannouch.

Ce dernier apprend vite, semble-t-il. De technocrate membre du sérail et plutôt discret et réservé, il s’est très rapidement transformé, ayant pris la mesure de la politique nationale, et s’y étant engagé. Il rend coup pour coup, désormais. Au dédain méprisant dont a fait montre Benkirane à son égard le 5 novembre, il a vertement répliqué, remettant en cause jusqu’à l’idée d’alliance avec le PJD : « Ce n’est pas comme cela qu’on traite de futurs alliés »… « Cela augure de bien mauvaises choses pour les 5 ans à venir »…  «  Qu’attend-il pour former sa majorité ? ». Et donc, de fait, une alliance entre le RNI (et ses alliés) avec le PJD devient plus compliquée, plus encore qu’une coalition avec l’USFP. Pas impossible, mais compliquée.

Avec l’USFP, une alliance serait très dangereuse pour Benkirane, connaissant les liens plus qu’amicaux, voire complices, qui unissent Driss Lachgar et Ilyas el Omari du PAM. L’USFP au gouvernement serait une 5ème colonne, mettant en péril le gouvernement à chacun des 1.825 jours qu’il durera, ou devrait durer. N’ayant pas beaucoup de marge de manœuvre, Benkirane, s’il veut vraiment former son gouvernement, devra nécessairement composer avec le...

RNI d’Akhannouch. Mais le torchon brûle entre les deux hommes, et il brûle beaucoup désormais.

Il ne resterait donc plus à Benkirane qu’à faire amende honorable avec le président du RNI, ce qui le placerait en position inconfortable pour diriger un gouvernement plus fort, lui qui se voit aussi plus fort après sa seconde victoire législative successive (2011 et 2016). Il gagnerait à le faire d’autant que le RNI est le seul parti à aligner autant de cadres à la compétence reconnue et prouvée.

Mais Benkirane est un animal politique, sanguin et bagarreur, violent et vindicatif. On le voit aux attaques indirectes qui fleurissent ici et là, en son nom, par procuration. Suite aux échanges houleux entre Benkirane et Akhannouch, et au lendemain d’un éditorial de l’Economiste ouvrant la réflexion sur un plan B pour la formation du gouvernement, le porte-flingue officiel du PJD Mohamed Yatim tire à boulets rouges sur l’éditorialiste Abdelmounaïm Dilami. Pour sa part, le journal istiqlalien al Alam a été également promu comme co-porte-flingue, s’en prenant à Akhannouch, le comparant à Hamid Karzaï, l’Afghan venu sur les chars américains à Kaboul en 2002 pour prendre le pouvoir au nom de la puissance occupante. Question : Si Akhannouch est Hamid Karzaï, qui est George Bush ? L’accusation est très grave, en plus d’être préoccupante sur l’ambiance au sein de la classe politique. Enfin, le quotidien Akhbar Alyoum, dont les liens d’amitié avec le PJD ne sont plus à prouver, ce qui est de son droit, attaque à son tour Dilami.

Il apparaît donc que Benkirane s’est enferré lui-même, se fermant pratiquement toute porte de négociation avec Lachgar, et surtout Akhannouch, sauf à discuter avec celui-ci en position de faiblesse.

Que reste-t-il donc comme solutions ?

1/ Que Benkirane fasse amende honorable, cesse de faire un transfert de personnalité sur Erdogan qu’il n’est pas, et négocie à partir de la position de force relative qui est la sienne. Mais poliment et sans arrogance.

2/ Qu’il décide d’annoncer son échec à former un gouvernement, et quitte la vie politique, car on ne voit ce qu’il pourrait faire d’autre… Ce qui ne serait pas la plus mauvaise sortie de crise…

3/ Que le roi intervienne et décide de la seule chose à faire, en dehors de la convocation d’autres élections : désigner un autre dirigeant du PJD pour former le gouvernement. Cela respecterait la lettre et l’esprit de la constitution, et épargnerait au Maroc de 5 ans d’insultes et d’invectives.

Dans le premier cas, Benkirane ne se sera pas grandi ; dans les deux autres, il n’aura pas réussi sa sortie, et dans tous les cas, il n’aura pas servi le pays autant qu’il le clame et que ses proches le proclament…

Quelle que soit la configuration, il faut accélérer le tempo. Le Maroc attend.

Aziz Boucetta

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