Le burkini, un compromis anti-islamiste, par le Pr Abdessamad Dialmy

Le burkini, un compromis anti-islamiste, par le Pr Abdessamad Dialmy

En tant que féministe convaincu par le principe de l’égalité des sexes (en matière de droits), j’estime que la transformation de la différence sexuelle (entre mâles et femelles) en inégalité sociale et juridique, discriminatoire et hiérarchique, est inacceptable. C’est cette transformation patriarcale de la femelle en femme-corps dangereux pour l’ordre public dans l’espace public, c’est cette réduction de la femme à son corps objet de désir, qui explique l’usage du burkini par des femmes musulmanes, usage apprécié par des hommes musulmans au nom d’une spécificité musulmane, au nom d’une différence culturelle.

Pour le féministe que je suis, je refuse le principe du burkini parce qu’il accuse implicitement la femme d’être la source de la débauche (le « mal ») et du désordre public. Le burkini la réduit à n’être qu’un corps à voiler. Il la prive donc de la liberté de nager sans contrainte et de profiter d’une jouissance sensuelle totale réservée uniquement aux hommes.

Le burkini est anti-radical

En tant que sociologue de la religion, j’affirme qu’il n’est pas possible d’établir une corrélation positive entre burkini et islam radical (Wahhabisme) d’une part ou entre burkini et islamisme radical (salafisme jihadiste) d’autre part. On ne peut pas voir dans le burkini le produit d’un islam ou d’un islamisme purs et durs qui feraient une concession aux femmes en leur permettant d’aller nager dans des lieux mixtes sous prétexte que leur corps est couvert.

En Arabie saoudite, le berceau du wahhabisme et son espace actuel par excellence, les femmes n’ont pas le droit de nager dans les plages et piscines publiques et mixtes, même en burkini. « L’Etat islamique » est encore plus extrémiste à ce sujet. Islam et islamisme radicaux se basent sur le dire du prophète selon lequel la femme est « awra », c’est à dire un corps honteux à voiler entièrement dans l’espace public. La mixité publique est conditionnée par le voile intégral. Le prophète de l’islam a permis aux femmes de dévoiler le visage et les mains uniquement lors de la prière.

Par conséquent, du point de vue islamique, il faut voir dans le burkini la conséquence d’un ijtihad involontaire pratique dont l’intention est de concilier en islam et féminisme, entre tradition patriarcale et modernité égalitaire, entre foi austère et jouissance sensuelle. Le burkini permet à la femme de ne pas exhiber son corps en public tout en jouissant des plaisirs de la mer et de la piscine. Le burkini me rappelle le dire d’une jeune lycéenne dans le cadre de ma première enquête sociologique sur la sexualité (la première au Maroc) : « faire l’amour sans pénétration vaginale, c’est pour moi le seul moyen de concilier entre le tabou et le désir ». Cela se passait en 1976, à une époque marquée par le paradigme moderniste des des libertés individuelles.

Aujourd’hui les libertés individuelles sont menacées par la montée de l’islam/islamisme radical. Dans ce cadre, il me semble plus correct de voir dans le burkini, non pas une signature de l’islam/islamisme radical, mais au contraire une résistance à la montée de l’islam et de l’islamisme radicaux. En apparence, c’est une régression, une menace contre l’émancipation des femmes et l’égalité des sexes. En fait, c’est le prix à payer par les Musulman(e)s suite à la radicalisation de l’islam, et cette radicalisation terrible et terroriste de l’islam est principalement le fruit de l’Occident depuis la guerre d’Irak en 2003 et ses guerres qui se continuent en Syrie notamment. Dans le cadre de cette radicalisation l’islam pur et dur apparaît comme un repère /repaire contre la désorientation, contre le non accès à une identité moderne intégrée.

La France anti-burkini, une laïcité partiale?

Pourquoi le France ne défend-elle pas le droit des femmes saoudiennes (par exemple) à la plage, au maillot, au permis de conduire, à la sexualité, à l’égalité…? Pourquoi respecte-elle leur droit à la spécificité et à la différence? De l’autre, pourquoi la France ne respecte-elle pas le droit des femmes musulmanes françaises à la différence et à la spécificité? Pourquoi la France refuse-t-elle de voir dans le port du burkini une volonté d’être à la fois musulmane et française? D’être française à la musulmane ?...

D’être musulmane à la française ? Le burkini, c’est tout cela à la fois. Au nom de quoi Elisabeth Badinter invite-elle les porteuses de burkini françaises à aller vivre dans les pays à islam radical? Et indistinctement à y porter le burkini, à y accepter la polygamie et la répudiation? Comment peut-on arriver à une confusion pareille? Est-on vraiment arrivé à ce dilemme en France: soit porter un maillot de plage, soit partir là où la Shari’a est appliquée? Le dilemme n’est-il pas plutôt, et pour quelques françaises seulement: soit mettre un burkini, soit ne pas nager dans un lieu public.

Cela me rappelle une autre injustice : soit enlever le voile, soit ne pas aller à l’école. Deux commandements que la France républicaine et laïque adresse aux musulmanes : dévoile-toi pour avoir le droit d'entrer à l'école, déburkinise-toi pour avoir le droit de nager dans un lieu public. Injustices que beaucoup de pays occidentaux n’ont pas commises.

Tout comme le voile, le burkini est un vêtement ambigu, polysémique. Il ne faut donc pas en rater le sens véritable, le sens central, et ne pas y voir l’indicateur d’une islamisation radicale des Musulmans de France. Au contraire, il est une résistance à l’islam radical, l’ennemi véritable. Et l’on peut parler ici d’un burkini machiavélique dont l’objectif principal est de permettre aux femmes d’aller à la plage en toute tranquillité physique (et de conscience). Par ses antinomies, le burkini me rappelle l’article sur le voile que j’ai publié en 2008 dans « Social Compass » (Revue Internationale de Sociologie des Religions), article intitulé « Les antinomies du port du voile ».

Au Maroc, impartialité d'un Etat non laïc

Si le port du burkini commence à poser problème en France, à quelques mairies de droite soutenues par un premier ministre de gauche, c’est le non-port du burkini (son non-principe) qui commence à poser problème (de plus en plus) au Maroc. Dans les plages marocaines populaires et bondées, à proximité des grandes villes, il devient de plus en plus difficile aux femmes d’y nager en maillot. Elles sont davantage harcelées quand elles portent un maillot.

On est loin des années 1960-1970 où porte un maillot de plage allait de soi, où la mixité dans les plages n’était pas du tout problématique. A cette époque, l’enjeu était de moderniser l’islam et de montrer que l’islam est compatible avec la modernité. Justement, le burkini est aujourd’hui cet outil qui montre que l’islam est compatible avec la modernité, il n’est en aucune façon un moyen d’islamiser la modernité ou d’assujettir la modernité à l’islam. C’est tout simplement un vêtement qui permet aux femmes marocaines de nager et de se mêler aux hommes (modernité) tout en sauvant les apparences islamiques (tradition, spécificité, différence, culture…). Et tout simplement pour ne pas être importunées par des hommes en perte et en mal de pouvoir.

Au Maroc, les pouvoirs publics sont assez intelligents pour n’être publiquement défavorables ni publiquement favorables au burkini. Elles défendent la liberté vestimentaire dans les plages publiques en protégeant les femmes en maillot sans empêcher les pro-burkini de porter le burkini. La France devrait faire l’inverse en protégeant le droit civique et civil des femmes qui désirent porter un burkini.

Ma conclusion

En tant que citoyen marocain croyant aux libertés individuelles, je crois que toute femme a le droit de porter un burkini de manière libre et choisie dans l’espace public des plages et des piscines, et ce dans n’importe quel pays du monde. Celles qui le portent incarnent objectivement (et indépendamment de leur intentionnalité) un islam modéré de juste milieu qui se situe entre l’islam radical (refus total de la mixité à la plage quel que soit le vêtement) et la modernité radicale (acceptation totale de la mixité à la plage quel que soit le vêtement… ou le non vêtement).

Ma question finale est la suivante : pourquoi certaines musulmanes ressentent-elles le besoin de porter un burkini? Pourquoi le burkini rencontre-t-il de plus en plus de succès auprès d’un nombre grandissant de musulmanes et de musulmans? Au-delà du fait qu’il constitue un marché concurrentiel, le burkini répond à un besoin profond, voire inconscient, d’intégration et de justice internationale. Il est un symptôme de la maladie du monde, maladie causée par le néolibéralisme, ses fondamentalismes pluriels accompagnateurs et accommodants, ses guerres vitales… et mortelles.

Commentaires