L’étrange et sournoise précampagne électorale, faite de silences et d’images

L’étrange et sournoise précampagne électorale, faite de silences et d’images

Depuis quelques semaines, le Maroc est entré en précampagne électorale, pour le scrutin du 7 octobre prochain. En pareils cas, et dans tous les pays, les états-majors des partis font leurs échauffements et les esprits s’échauffent. Au Maroc, comme on ne fait rien comme les autres, puisque nous sommes une « exception », la campagne se scinde en deux parties : les échanges et attaques publiques, dont on a pris l’habitude, et les silences, les non-dits et les images. Le roi Mohammed VI, dans son discours du Trône, a essayé d’y mettre bon ordre, Mais il semblerait qu’il ait essayé seulement, puisque les choses continuent.

Les silences

Par trois fois, en moins de dix jours, le secrétariat général du PJD a ordonné le silence à ses troupes qui, il faut le dire, respectent les consignes. Ainsi, pour les deux communiqués du ministère de l’Intérieur, tombés à une semaine d’intervalle et critiquant rudement le PJD sans toutefois le nommer, les chefs ont ordonné aux militants de ne pas réagir. Il en a été de même pour cette très douteuse vidéo montrant deux hommes qu’on a présentés comme Salaheddine Mezouar et Fouad Ali al Himma, respectivement  ministre des Affaires étrangères et conseiller du roi ; le SG du PJD a demandé aux siens de ne rien dire ni commenter, et de s’en tenir aux positions officielles du parti.

Même chose pour l’ « affaire » du recrutement de la fille d’Abdelilah Benkirane au sein de la fonction publique, fin juin. On aura noté que les chefs du PAM ne se sont pas exprimés, ou si peu, laissant faire les réseaux, nouvelle « force politique » du pays puisqu’elle influence l’opinion publique, généralement en mal.

Les images

Que cela soit une vidéo d’Ilyas el Omari où on lui fait dire ce qu’il n’a pas dit, en charcutant les images et en n’en laissant paraître que la partie qui, prise en elle-même, condamne le SG du PAM. Ou encore cette vidéo de Benkirane où il revient sur sa relation avec le roi Mohammed VI… ou enfin cette autre vidéo supposée montrer Mezouar et Ali al Himma.

La technique est simple. On fait le travail technique en amont, puis on laisse les choses prendre en aval. Mais cela est dangereux car livrer des gens à la vindicte populaire,...

fort encline aux lynchages publics, est un acte qui peut se retourner contre ses auteurs, sans compter les victimes des montages. Cela est vrai pour les chefs de partis ou pour d’autres.

Le danger

Il faut toujours garder à l’esprit cette interrogation : « A qui profite le crime ? ». On pourrait changer le mot « crime » par « forfait ». Les états-majors politiques sont toujours sûrs qu’égratigner un adversaire politique leur serait profitable. Mais ce faisant, ils en oublient l’intérêt du pays et de la société à avoir des élections aussi propres que possible, des élections qui dégageraient un vainqueur et, forcément, un vaincu. Et ils oublient que ce qu’ils font, eux, peut également être fait par leurs adversaires, et c’est exactement ce à quoi on assiste aujourd’hui. Avec, en perspective, une abstention record de la part d’électeurs qui ne verraient pas l’utilité de voter.

De plus, et comme dans notre pays, on n’aime pas les défaites, les responsables des partis peuvent céder à la facilité de laisser commettre des actes douteux qui faciliteraient la victoire le 7 octobre. Ils oublient ce faisant que leurs techniques sont aussi maîtrisées par leurs adversaires et que nul formation n’est exempte de turpitudes, physiques, matérielles ou morales.

Mohammed VI, le 30 juillet : « Je saisis cette occasion pour attirer l’attention sur des agissements et des dépassements graves commis en période électorale. Il faut les combattre, et en sanctionner les auteurs. En effet, dès que la date des élections approche, on assiste à une frénésie quasi-résurrectionnelle où règne le chacun pour soi, et où personne ne connaît plus personne. Tous, gouvernement et partis, électeurs et candidats, perdent la tête et sombrent dans un chaos et dans des luttes qui n’ont rien à voir avec la liberté de choix incarnée par le vote ». Tous ces dirigeants politiques, qui se réclament pourtant unanimement du roi, se bousculent et se marchent sur les pieds pour s’en prévaloir, devraient lire ce passage, le comprendre, l’assimiler, le retenir… et l’appliquer.

« Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle casse », dit le proverbe. C’est la sagesse qu’il faut retirer de cela pour cesser de donner des coups bas et de tirer la politique, déjà souffrante dans ce pays, vers encore plus bas qu’elle ne l’est déjà.

Aziz Boucetta

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