La position trouble du PJD à l’égard d’Erdogan

La position trouble du PJD à l’égard d’Erdogan

Le principe fait unanimité : on ne prend pas le pouvoir avec les armes, ni avec rien d’autre que les urnes et la volonté populaire. Cela est acquis et indiscutable. Mais il faut dire également qu’en république, le pouvoir est provisoire, ou devrait l’être. On est élu pour une période déterminée, éventuellement réélu, et après, on cède la place. Le président turc Recep Tayyip Erdogan n’est pas dans cette posture et le soutien inconditionnel que lui témoigne notre PJD marocain devient assez gênant.

En effet, depuis sa réélection en 2011, l’ancien premier ministre turc, devenu entretemps président, ne paraît pas penser qu’un jour, il devra partir. Il se comporte comme un monarque à la dérive autoritaire de plus en marquée, d’autant plus marquée que la lassitude d’une partie de la population turque s’affirme. Menaces contre les corps constitués, mise au pas des médias (et, à défaut, mise en prison des journalistes), intimidation des députés, séparation d’avec ses anciens amis (Ahmed Davutoglu ou Gül), narcissisme galopant (palais gigantesque construit à Ankara)...

Et puis le coup d’Etat, une action criminelle et condamnable, tout le monde est d’accord. Mais aussitôt après le retour du président à Istanbul, les purges ont commencé. Le ministre de la Justice turc a même dit que « le grand ménage continue », plutôt inquiétant pour un ministre de la Justice. Et, de fait, 3.000 soldats emprisonnés, des milliers de policiers révoqués, et même 2.700 juges sous mandat d’arrêt. Doit-on combattre un coup d’Etat contre un président par un coup d’’Etat contre les institutions ? Telle est pourtant la démarche que suit Erdogan, qui agite même le rétablissement de la peine de mort, et qui ne dit pas un mot devant les bastonnades infligées aux putschistes.

Mais cela, pourrait-on dire, est l’affaire des Turcs. Ce qui gêne, en revanche, est cet alignement quasi-total du PJD marocain sur son ami (mentor ?) turc. Quand on entre sur...

le site du PJD, on ne voit que des louanges à Erdogan et des attaques, frisant l’insulte, contre les putschistes, l’Occident qui les aurait manipulés et même téléguidés, et les modernistes marocains.

Dans un article paru sur le site en question, l’auteur s’en prend à ceux des Marocains qui n’ont pas pris une position claire contre la tentative ratée de putsch à Ankara.  Dans son esprit, être opposé au coup d’Etat signifie mécaniquement être un partisan d’Erdogan. Pas de nuances, c’est pour lui ou contre lui, et ceux qui sont contre lui sont contre le PJD marocain, et contre la démocratie et les grands principes.

C’est ici un esprit de solidarité trouble et douteux car Erdogan n’aura finalement bénéficié que de quelques heures de sympathie de la part du monde, le temps que les soldats putschistes soient maîtrisés. Mais les dérives autoritaires, les accusations portées contre Fathallah Gülen (son ex-ami devenu son principal ennemi), sa demande d’extradition formulée aux Etats-Unis en public, l’éventualité du rétablissement de la peine de mort, les passages à tabac des soldats et les arrestations massives, ont vite fait de dresser l’opinion publique internationale contre lui, de l’Afrique à l’Amérique, de l’Europe à l’Asie.

Les observateurs s’inquiètent de la tournure des événements, certains allant même jusqu’à agiter l’idée qu’au lieu d’un coup d’Etat, ce qui s’est passé vendredi soir en Turquie était un coup monté. L’accusation est grave, doit être étayée, mais le fait même de le penser est un indicateur.

Les membres du PJD, qui disent croire en la démocratie et en la paix civile, doivent se poser la question et se questionner avant d’apporter leur soutien aussi massif au sultan Erdogan, qui s’était comporté d’ailleurs comme tel lors de sa visite au Maroc, en juin 2013, allant même jusqu’à refuser le titre honoris causa qui devait lui être décerné par l’université Mohammed V de Rabat.

Aziz Boucetta

Commentaires