Une 1ère au Maroc, un face-à-face public Benkirane/El Omari ?

Une 1ère au Maroc, un face-à-face public Benkirane/El Omari ?

Ils sont les deux principaux challengers des élections législatives à venir. Ils dominent la scène politique nationale, de la tête, des épaules et même du buste. Ils dirigent leurs partis respectifs sans aucune contestation. Ils ne s’aiment pas, mais se craignent ; ils se jaugent et chacun se rengorge. Pourquoi ne pas les mettre face-à-face ? L’association TIZI leur a posé à tous les deux la question, et ils ont tous les deux répondu oui.

Ils ont accepté, après hésitation, mais ils ont accepté

Invités tous les deux, séparément, par Tariq Ibnou Ziyad Initiative, et interrogés par le président de l'association Zakaria Garti,  Abdelilah Benkirane et Ilyas el Omari ont tous les deux répondu par l’affirmative à la question d’un débat, mais pas avec le même enthousiasme…

Avec Benkirane, la question posée le 22 avril à Rabat était s’il accepterait de débattre en face-à-face avec certains de ses adversaires politiques dans l’opposition (El Omari n’a pas été mentionné mais c’était très clair). Réponse du chef du gouvernement : « Ce que je peux vous dire est qu’un homme politique est calculateur. Sur le principe, je n’ai pas de raison de refuser. Pourquoi refuserais-je, au demeurant ? ». Par moments, il faut renoncer au calcul et privilégier l’audace…

Avec el Omari, reçu presqu’un mois plus tard, le 17 mai, à Casablanca, la question était plus frontale : « Accepteriez-vous, à l’approche des élections, de débattre avec Abdelilah Benkirane ? ». Réponse : « Je n’ai aucun problème à cela. Je vous marque mon accord, dès demain ».Ilyas el Omari prend l’avantage avec ce « oui franc et massif ».

Les deux hommes ont donc accepté le principe de débattre en eux à la veille d’élections législatives (comme toujours) cruciales.

Clarté du champ politique

Pour les deux adversaires, voire ennemis, que sont Abdelilah Benkirane et Ilyas el Omari, les éléments de langage sont très bien rôdés : le premier attaque le second en lui accolant systématiquement une volonté de « tahakkoum » (contrôle), et le second répond en accusant invariablement le premier de « rouler » pour les Frères musulmans.

Par ailleurs, les deux hommes attirant deux franges de la société – même si chacun récuse cet avantage à l’autre –, il serait bien pour notre si jeune et frêle démocratie d’inaugurer ce genre de débat, pour apporter un peu de clarté à la politique.

Chacun des deux protagonistes a aujourd’hui ses alliés, déclarés ou non. Le PPS et Nabil Benabdallah sont solidement arrimés à Benkirane et au PJD, et le RNI, l’UC, l’USFP (et peut-être même l’Istiqlal de Chabat) ont une solide inclinaison pour El Omari et le PAM (par calcul ou manque de recul). Le champ politique devient donc bipolaire, et les deux pôles devraient s’expliquer en direct, laissant les électeurs les jauger, puis les juger.

Qui serait l’arbitre de ce débat ?

C’est l’association TIZI qui a été à l’origine de l’idée, et c’est son jeune président Zakaria Garti (banquier de profession) qui était à la manœuvre lors des deux conférences. Il a bien voulu répondre à nos questions, pour brosser les grandes lignes de ce que pourrait...

être ce débat.

Q – Vous avez interpellé les deux hommes sur un éventuel face-à-face, quel a été votre ressenti sur l'adhésion de chacun d'eux ?

R – En posant la question à Benkirane, je n’ai pas cité de façon nominative El Omari, parlant plutôt d’opposants ou d’adversaires politiques. J’ai senti Benkirane enclin au débat mais il n’acceptera pas un face-à-face sans une réflexion approfondie préalable. C’est un peu comme un boxeur qui accepte de mettre son trophée en jeu : il risque beaucoup plus que le challenger…  Quant à el Omari, après une hésitation de quelques secondes, il a dit qu’il accepterait ce face à face, «  dès demain ».

Q – A quelle période organiseriez-vous ce débat ?

R – Probablement  mi-septembre.

Q – Envisagez-vous de le faire diffuser à la télé ?

R – La télé m’importe peu. Je suis le fils de Mark Zuckerberg et TIZI, comme beaucoup d’autres d’associations, n’aurait pas existé sans les réseaux sociaux. Je ne trahirai donc pas Facebook pour un média ancien comme la télé, considérée aujourd’hui comme l’ancêtre d’internet.  

Q – Avez-vous eu des remontées de la classe politique et/ou de la société civile sur la pertinence et l'importance de ce débat ?

R – Certains politiques de premier plan comme Nabil Benabdallah, m’ont dit être prêts pour ce genre de débat. La société civile et les facebookers accueilleraient cela avec beaucoup d’enthousiasme.

Q – Poseriez-vous les questions qui fâchent : fiscalisation de l'agriculture, raisons de l'animosité personnelle entre les deux hommes, ministères de souveraineté, positionnement idéologique (moderniste dans une société conservatrice pour l'un, conservateur dans un pays qui aspire à la modernité pour l'autre) ?

R – Ces questions et bien d’autres encore ! Ce dont je suis sûr, en revanche, est que nous préparerons minutieusement ce débat et que personne ne viendra nous dicter ou souffler des questions. Notre légitimité est notre indépendance, nous y tenons ! 

 

La question est donc de savoir si l’un et l’autre accepteraient de s’éloigner de la facilité douillette des réseaux et du confort que procure l’éloignement de celui qu’on invective. En acceptant ce débat, Benkirane et El Omari montreraient qu’ils sont finalement les hommes politiques qu’ils prétendent être et non les hurleurs manœuvriers que l’on voit aujourd’hui. Il est bien plus facile d’éreinter son  adversaire quand il n’est pas face à vous que de l’affronter devant une salle et des caméras.

Et c’est bien pour cela que dans les grandes et vraies démocraties, ce type de débat est devenu une tradition, un passage obligé. Y aller procure une stature d’homme d’Etat aux débatteurs, même en perdant l’affrontement. L’éviter plonge celui qui refuse dans les oubliettes obscures de l’Histoire.

Dans un tel débat, le chef du PJD, et du gouvernement, et le chef du PAM auraient chacun beaucoup à gagner, pour le simple fait qu’ils perdraient leur aura en évitant le duel.

Et cela ferait du bien à nos élections, nos débats, notre scène politique et notre démocratie naissante.

On attend, donc, la réponse d’Abdelilah Benkirane et d’Ilyas el Omari.

Aziz Boucetta

 

 

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