Les inconnues d’une confrontation avec les Etats-Unis, par Noureddine Miftah

Les inconnues d’une confrontation avec les Etats-Unis, par Noureddine Miftah

Quelles que soient les raisons et quelle que puisse être l’ampleur de la désillusion, la réaction du Maroc au dernier rapport du Département d’Etat américain sur les droits de l’Homme est quand même démesurée, effrayante… et les gens qui l’ont relevé sur les réseaux sociaux ne l’ont pas fait par résignation ou crainte, mais bien par sagesse, partant du principe qui veut que « la colère est mauvaise conseillère ».

La sagesse veut, en effet, que l’on se retienne, que l’on fasse preuve de modération et qu’on ne se laisse pas entraîner dans la logique et le piège de la provocation… bien qu’une autre catégorie de la population ait quand même montré sa satisfaction suite à la réaction virile de Rabat. En effet, suite à la réaction de l’Etat contre le Département d’Etat, les gens appartenant à cette catégorie ont affiché un sentiment de fierté nationale et de victoire, à la seule pensée qu’un petit pays comme le Maroc ait pu défier une hyper-puissance comme les Etats-Unis.

Le rapport établi par la diplomatie US sur la situation des droits de l’Homme comporte bien des imprécisions et même quelques erreurs. Il est, globalement, déséquilibré, et à sa lecture, on retire cette sensation que les efforts accomplis par le Maroc pour sa mise à niveau progressive en termes de respect de droits humains ne semblent pas être reconnus dans le document en question. En revanche, ce dernier relève plusieurs éléments vrais, qui constituent des hiatus en matière de droits au Maroc, et qu’il nous appartient de corriger. Exemples : La situation dans les prisons, l’indépendance de la justice, la liberté de manifester…

Mais ce rapport n’est pas le premier du genre ; il a été précédé par bien d’autres et jamais nous n’avons entendu autant de vacarme ni de tumulte. Quelques lignes de la presse, avant de tourner la page, et c’était fini... Il existe également d’autres rapports, établis par des ONG avec lesquelles le gouvernement débat ou discute, comme le ministère de la Justice et Amnesty International, ou Human Rights Watch et le ministère de la Communication.

C’est pour ces raisons que la réaction virile du Maroc au rapport du ministère des AE américain peut être considérée comme un service rendu aux fonctionnaires de ce même département, qui l’ont rédigé. Mais comme on suppose que l’Etat marocain n’est pas spécialement candide, on comprend que la double convocation en 48 heures de l’ambassadeur US à Rabat à l’Intérieur puis aux Affaires étrangères  – avec ce que cela implique comme logique de réprimande pour un diplomate – a une autre explication,. Il s’agit de l’évolution de l’attitude américaine depuis quelques années concernant le Sahara, et on trouve également cette explication dans le ton des derniers discours du roi Mohammed VI, dans lesquels on relève une certaine amertume à l’égard des « amis et des proches ».

Cette intonation des adresses royales s’est ensuite prolongée dans la prise de décisions effectives, tel que cela a été mentionné dans le discours de Riyad, où le souverain a même été jusqu’au point de parler de complot, de tentative de dépeçage du monde arabe et de manipulations pour créer un printemps arabe, avant de le détruire. Tout cela, à mon avis du moins, cible les Etats-Unis, avec lesquels le pouvoir marocain veut prendre ses distances, pour se rapprocher de leurs adversaires, en l’occurrence la Chine et la Russie.

La déception est donc claire, car le Maroc a présenté et rendu bien des services à l’Amérique dont la diplomatie ne connaît pas d’autre logique que celle des intérêts et qui a été indiquée par les petites nations comme « ennemie des peuples »… Feu Hassan II avait contribué à l’écriture d’une Histoire dont on ne connaît pas encore tous les secrets, essentiellement dans la tambouille moyen-orientale. Cette action du roi défunt a toujours été dans le sens voulu par les Etats-Unis, éternels défenseurs et protecteurs d’Israël. C’est même pour cela que l’ancien président des Etats-Unis, Bill Clinton, avait tenu à assister personnellement aux funérailles du roi, suivant son convoi funèbre sur des kilomètres.

Puis bien des choses s’étaient alors passées, jusqu’aux attentats meurtriers du 11 septembre 2001, puis ceux de Casablanca vingt mois après,...

en 2003. La guerre contre le terrorisme avait donc été déclarée, avec tous les dégâts collatéraux en matière de droits de l’Homme qu’elle a occasionnés, et les Etats-Unis en positions d’accusés. Jamais le Maroc n’avait rédigé ou suggéré quelque chose sur les abus de Washington, bien au contraire… Rabat avait suivi l’Amérique dans sa guerre, et y avait même contribué, commettant probablement les même abus, et des informations avaient même circulé sur des extraditions extraordinaires, cette procédure consistant à « exporter » des terroristes vers des pays tiers pour interrogatoires.

Disons, en plus de tout cela, que le Maroc sent et sait qu’il est l’Etat ayant déployé le plus d’efforts pour répondre aux exigences de transition démocratique exprimées par les Etats-Unis aux pays de la région. Il est sorti indemne des printemps arabes, a changé sa constitution et a marqué des points institutionnels et juridiques sur l’ensemble de son territoire, Sahara compris. Et bien que toutes choses soient perfectibles, l’Etat marocain estime que ce rapport qui fait du Maroc une nation qui ressemblerait à la Corée du Nord le conduit à ressentir une forme de « hogra ». Et c’est là que le cocktail explosif s’est mis à prendre forme, commençant  par l’ingrédient de la position américaine au Conseil de Sécurité, puis se poursuivant par celui des agissements de l’Envoyé personnel Christopher Ross et de son « envoyeur », le SG des Nations Unies Ban Ki-moon, les deux diplomates étant bien évidemment animés par Washington… et on connaît la suite.

Mais même en considérant tout cela, était-il vraiment nécessaire d’en arriver à ce point d’escalade avec les Etats-Unis ?

N’y a-t-il pas là une réaction épidermique issue d’une grosse déception, mais qui irait à l’encontre des principes diplomatiques dont le premier est de dissimuler, de faire taire, ses sentiments pour privilégier ses intérêts ? Et puis, avons-nous les moyens de notre nouvelle politique diplomatique ? Ne faisons-nous pas là le jeu de l’Algérie et du Polisario qui se frottent les mains de contentement à chaque fois que nous entrons en confrontation avec nos alliés traditionnels ? Etait-il vraiment nécessaire de convoquer, par deux fois, l’ambassadeur américain, comme s’il était le représentant d’une quelconque république insignifiante, pour un simple rapport sur les droits de l’Homme ?

Ces questions ne s’appliquent pas aux seuls Etats-Unis mais à l’ensemble de l’approche musclée de notre diplomatie à laquelle nous assistons depuis quelque temps. Nous avons eu en effet un sérieux coup de froid avec la France, qui a duré un an, puis après un bras de fer avec l’Union Européenne, et ensuite une grave crise avec le SG de l’ONU, qui s’est prolongée vers les Nations Unies à travers l’expulsion de la composante civile de la Minurso… et souvenons-nous aussi qu’avant tout cela, Rabat avait déclaré sa rupture de confiance avec l’Américain Christopher Ross, Envoyé personnel de Ban Ki-moon, avant que le Maroc ne soit contraint à accepter son maintien, ce qui avait constitué un sérieux revers, teinté d’humiliation, pour notre diplomatie…  

Nous ne nous réjouissons pas de cela, bien au contraire… mais si l’intégrité territoriale et la souveraineté de notre pays sont sacrées, alors les choses doivent être discutées avec audace, transparence et raison, comme seule la démocratie peut le permettre et permettre aussi les divergences d’opinions. Alors, prenons garde à ce que l’enthousiasme débordant et la complaisance à son égard ne nous conduisent au bord du ravin. En effet, la malveillance des adversaires ne saurait être déjouée que par la ruse et l’intelligence de ceux qui défendent une cause juste.

Le Maroc s’est toujours caractérisé par sa propension à multiplier les amis…alors, dans ce monde de plus en plus complexe, nous ne pouvons ni ne devons nous transformer en une nation qui accumule et collectionne les ennemis, même si ce sont eux qui nous attaquent. L’histoire nous apprend que dans l’affaire de notre intégrité territoriale, nous avons toujours su y faire, réussissant à conserver et préserver notre Sahara ces quatre dernières décennies. Il nous faut donc rester tels que nous l’avons toujours été, même si avec la complexité croissante des choses, cela nous sera difficile. La tâche qui nous attend est rude et dure, ardue et nécessitant des nerfs d’acier.

Ce qui nous attend pourrait être encore plus difficile.

Al Ayyam

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