Mezouar a commis l’erreur de sa vie, par Taoufiq Bouachrine

Mezouar a commis l’erreur de sa vie, par Taoufiq Bouachrine

Le camarade Mezouar, qui accusait jadis le Makhzen de fabriquer des islamistes à l’université pour affronter la gauche marocaine, est en colère ces jours-ci car il est celui qui craint le plus l’épreuve électorale du 7 octobre prochain… En effet, le PJD contrôle les villes et devrait augmenter l’effectif de ses élus parlementaires, et le PAM a pris le dessus dans les campagnes et a pris par la même occasion une option sur ce qui reste encore de notables au sein des partis de l’administration. Et le RNI, dans tout cela ?

Le camarade Mezouar a failli perdre la raison face à la pluie de jugements qui se sont abattus sur les têtes des notables de la citadelle bleue du RNI. Cela avait commencé avec Abdelkader Salama, le conseiller parlementaire de Nador qui a été condamné à 8 mois de prison ferme, et puis les choses avaient continué avec le jugement contre le président de la région Souss-Massa Brahim Hafidi à trois mois de prison avec sursis et sa déchéance de sa fonction, et les ennuis judiciaires du RNI avaient également atteint l’oncle d’un ministre, et lui-même conseiller parlementaire, Mohamed Bouhdoud Bouhlal, condamné à de la prison avec sursis pour corruption électorale. Et le plus grave est que tous ces gens sont également interdits d’élection pour les deux scrutins à venir.

Et ainsi donc, en un seul mois, le RNI a perdu deux conseillers parlementaires et l’unique présidence de Région qu’il détenait et qu’il avait remportée avec l’aide et le soutien du PJD. Plus grave encore est la condamnation de l’oncle du ministre Bouhdoud, considéré comme l’un des plus importants notables et pourvoyeurs de fonds du RNI. Ce parti a donc subi un coup particulièrement rude à quelques mois de l’élection législative, et il est à parier que de nombreux notables réfléchiront mille fois avant de se draper de bleu pour la campagne électorale à venir.

Qu’a donc fait Mezouar, du fait qu’il est très libéral et même moderniste plus qu’il n’en faut, en plus d’être, n’est-ce pas, un homme d’Etat qui respecte la justice de son pays et se montre très sensible à son image ici et ailleurs, refusant de politiser les jugements et de laisser instrumentaliser le pouvoir judiciaire par le pouvoir exécutif ?

Et bien il a agi, tout simplement, à l’inverse de tout cela. Il a fait publier un communiqué incendiaire par le Bureau politique de son parti, juste après l’annonce des verdicts contre ses commensaux. Puis il a déclaré le boycott par le RNI de toutes les réunions de la Commission chargée du suivi des élections, coprésidée par les ministres de la Justice et de l’Intérieur, en raison de ce que le communiqué a affirmé être « notre puissante conviction quant à l’intégrité de nos élus » et aussi pour « répondre aux entreprises d’instrumentalisation de la justice à des fins politiques déclinées de plusieurs façons ».

Ce communiqué signifie que M. le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération (coopération avec qui d’ailleurs, puisque depuis qu’il est chef de la diplomatie, le Maroc gère des crises à répétition et fait de la rupture des relations une...

manière de solutionner les problèmes ?) met en doute l’intégrité et la probité des magistrats qui ont jugé les grands notables du RNI.

L’accusation est lourde, et puisqu’elle est lourde, elle nécessite l’ouverture d’une enquête, l’audition par un procureur du ministre des Affaires étrangères et de la Coopération… Salaheddine Mezouar devra apporter des preuves de son accusation sur l’instrumentalisation des juges à Agadir et à Nador. Il devra également dire et nommer qui a « guidé » les juges pour s’en prendre ainsi à ce parti des notables qu’est le RNI et qui a commencé à emprunter la terminologie de la gauche ultra.

Et puis, boycotter la Commission de Hassad et de Ramid signifie que leur pair au gouvernement, ministre des Affaires étrangères, leur fait porter la responsabilité de l’utilisation de la justice à des objectifs politiques consistant à s’attaquer au RNI. Pourquoi sinon bouder une Commission à laquelle participent pourtant tous les autres partis, majorité et opposition confondues ? Il appartient, donc, aujourd’hui, au ministre de la Justice et des Libertés Mustapha Ramid, d’ordonner une instruction sur les propos du RNI, exprimés à travers le communiqué de son Bureau politique et bien plus graves que ce qu’avait dit Abdallah Bakkali et qui lui avait valu des poursuites engagées contre lui par l’Intérieur et le gouvernement.

Quels ont pu être les sentiments de ces juges qui ont émis leurs sentences à Nador et à Agadir quand ils ont appris que le ministre des Affaires étrangères de leur pays les a accusés de n’être que des exécutants d’entreprises politiques dirigées contre le RNI ? Ce parti dont les dirigeants ont dit, redit et affirmé qu’Abdelkader Salama, Brahim Hafidi et Mohamed Bouhdoud sont intègres et purs, les mains totalement blanches et les esprits totalement innocents de toute corruption électorale… ce parti qui a affirmé que les juges ayant condamné ces gens à la prison et à l’interdiction de se présenter à des élections font partie d’un complot, en complicité avec des chapelles politiques particulières.

A en croire ces accusations contre les magistrats, ceci voudrait dire que soit ces derniers ont été intimidés, voire terrorisés, par leur ministre de tutelle ou par des gens influents au sein de l’Etat, soit ont touché de l’argent de la part de politiciens occultes. C’est pour cela que, au nom de la recherche de la vérité, de la défense de la dignité des juges et de l’interdiction d’instrumentalisation de la justice et des juges d’appel par les politiques,  il est nécessaire d’ouvrir une enquête, d’auditionner tout ce monde et de s’enquérir des preuves et des éléments dont disposent les accusateurs des juges.

A tous les Marocains, donc, ne pensez plus dès lors à faire appliquer à l’étranger un jugement émis par un magistrat marocain ou d’y faire respecter un arrêt judiciaire marocain, car vos adversaires dans les tribunaux européens, américains, asiatiques et autres vous vaincront par KO en exhibant face aux juges étrangers le propos du ministre des Affaires étrangères de votre pays contre sa propre justice. Ils exigeront l’annulation de toute décision judiciaire marocaine à l’extérieur du Maroc, au prétexte que la magistrature marocaine est guidée par les politiques, de l’aveu même du ministre des Affaires étrangères, M. Salaheddine Mezouar…

Akhbar Alyoum

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