Les dessous et les non-dits des déclarations du patron du BCIJ, par Aziz Boucetta

Les dessous et les non-dits des déclarations du patron du BCIJ, par Aziz Boucetta

Jeudi dernier, le Bureau central pour les investigations judiciaires annonçait, via le ministère de l’Intérieur, le démantèlement d’une cellule terroriste, qui était sur le point de passer à l’acte. Cela a donné lieu à une conférence de presse animée par le patron du BCIJ Abdelhak Khiam, puis à un entretien accordé par ce dernier à nos confrères de Medias24 ; et avant cela, une rencontre avec des journalistes de la télé belge... Pourquoi cette propension à communiquer et quels sont les messages subliminaux exprimés ?

L’information est un droit du public, et aussi une utilité publique

Abdelhak Khiam a expliqué à Samir el Ouardighi de Medias 24 que ce n’est rien d’autre que la constitution qui le mène à communiquer tous azimuts. « L’opinion publique doit être informée de ce que nous faisons et c’est pour cela que je m’adresse aux médias », explique le patron du BCIJ. Et il faut reconnaître que, contrairement à une ancienne pratique des nôtres, Khiam a réservé la primeur de ses interventions médiatiques à un groupe de presse marocain, avant de recevoir une brochette de journalistes étrangers, essentiellement européens.

Fallait-il communiquer et donner les détails des établissements et institutions visées ? Oui, incontestablement… Des médias ont critiqué les détails fournis par des « sources » proches de l’enquête et rapportés par la MAP. Or, il importait effectivement de le faire, car il ne s’agit pas que la population s’endorme sur ses lauriers et se berce de la certitude d’une sécurité acquise et facile. La sécurité, en plus d’être l’affaire des professionnels, est aussi et surtout due à la vigilance citoyenne. Dans tous les pays du monde (civilisé ou non), la police fait appel aux gens pour dénoncer ou rapporter des faits ou comportements anormaux.

On est bien plus attentif et vigilant quand on connaît le danger auquel on est exposé. Qu’Abdelhak Khiam dise que l’attaque avortée aurait pu occasionner des dizaines de tués est une information de nature à mettre en émoi certes, mais aussi à aiguiser la veille et l’attention des gens. Il ne faut pas oublier que le chef du commando arrêté est un promoteur immobilier que rien ne prédisposait à devenir tueur…

Qu’Abdelhak Khiam révèle les noms d’enseignes commerciales ou la nature d’institutions publiques montre également l’envergure et la portée de la menace que font peser les cinglés de Daech sur le pays. Prétendre que cela porterait préjudice à ces enseignes est un faux-procès fait au BCIJ et une bien mauvaise appréciation de son rôle et de son action. Donner des détails permet de préciser et concrétiser une menace, et conduit les gens à penser que « cela n’arrive pas qu’aux autres ».

Le monde change, et devient plus périlleux, les menaces évoluent, et sont plus précises. La communication doit suivre, et être plus hardie. Les résultats de l’action antiterroriste au Maroc prouvent la justesse du positionnement et de la stratégie des services.

Les messages de la dernière conférence de presse

Lors de sa conférence de presse du 19 février, Abdelhak Khiam s’est appuyé sur des faits concrets pour exposer son analyse du terrorisme, origine et ramifications.

La présence d’un Français. Khiam révèle aux médias que parmi les 10 suspects arrêtés le 18 février, figure un Français de père et de mère, converti à l’islam à el Jadida. « Les terroristes ne sont donc pas à rechercher parmi les binationaux, mais aussi chez les convertis »… L’allusion est on ne peut plus claire au débat actuellement en cours en France sur les binationaux, un débat biaisé car ne se tenant qu’en France et nulle part ailleurs où des attentats se produisent ou sont déjoués. La Belgique n’y a pas pensé, le Royaume-Uni non plus, pas plus que l’Espagne. Et pourtant, les binationaux y sont légion…

La raison en est que les statistiques montrent que la proportion de convertis dans la population de jihadistes et potentiels terroristes est située entre 25 et 33% et que les victimes des attentats en France sont aussi bien binationaux que « français de souche » (puisque l’expression semble malheureusement revenir sur le devant de la scène). Déchoir de sa nationalité un Français d’origine étrangère, maghrébine pour tout dire, en guise de solution...

au problème du terrorisme est donc de la mystification. Khiam est un chef policier, il ne peut le dire, mais l’idée est suggérée dans son propos.

Le roi Mohammed VI est en France, où il a été reçu par le président Hollande pour parler, entre autres, de terrorisme. Heureuse coïncidence, le démantèlement du commando, avec ce Français, vient confirmer que le Maroc peut, effectivement, apporter son aide effective et efficace aux pays… amis.

Le problème algérien. Le chef du BCIJ annonce que l’arsenal saisi vient d’Algérie, ce qui sous-entend que la sécurité chez nos voisins est non seulement perfectible, mais reste même à inventer. Les frontières sont poreuses entre l’Algérie et la Libye, et aussi avec les pays du Sahel. « Il n’y a ni rencontres ni échanges de renseignements avec nos homologues algériens (…). Cela me fait mal au cœur car nous leur avons tendu la main à plusieurs reprises pour attirer leur attention sur le danger qui prévaut sur le Maghreb et donc sur le Maroc et l’Algérie » (entretien avec Medias24).

Or, il convient de rappeler que les Algériens sont particulièrement exposés au terrorisme, et depuis un quart de siècle. Voici un an et demi, un touriste français a été décapité par l’antenne locale de Daech en Algérie, et quelques mois plus tôt, Mokhtar Belmokhtar avait pris d’assaut un complexe gazier, occasionnant des dizaines de morts.

Abdelhak Khiam a donc pointé un problème qui ne concerne pas seulement les Algériens mais toute la région. Refuser de collaborer, de la part d’Alger, avec les autres services expose au danger l’ensemble des pays ouest-méditerranéens, et même au-delà, en Europe et en Afrique.

Le rôle du Polisario. Toute la population sahraouie, (sur)vivant à Tindouf, ne connaît presque rien du Maroc, hormis ce que veulent bien lui en dire ses dirigeants. Et parmi la catégorie de moins de 40 ans, le Maroc est juste un peu meilleur que la Corée du Nord, et encore… Or, cette population vit en deçà du seuil de pauvreté en raison, entre autres, des détournements des fonds humanitaires. Khiam le rappelle, toujours à nos confrères de Medias24 : « Il y a aussi la précarité des populations de Tindouf, dont les aides humanitaires sont détournées et qui peuvent être tentées par le terrorisme »…  Alors, puisqu’en Occident, on est volontiers preneur des informations dont dispose le chef du BCIJ, il serait de bon ton de retenir aussi ses mises en garde sur cette bombe à retardement (sans jeu de mots macabres) qu’est le Polisario.

Le cas Abaoud, revisité par le chef du BCIJ

En novembre, c’est de notoriété publique, les services marocains avaient avisé leurs homologues français de l’imminence d’une autre série d’attaques à Paris, après celles du 13 novembre. Cela avait été reconnu du bout des lèvres par le ministre français de l’Intérieur, qui avait parlé de renseignements apportés par un pays hors Union européenne. Début février, à la veille d’un débat crucial au parlement français sur la reconduction de l’état d’urgence, une certaine Sonia apparaît dans les médias, qui aurait aiguillé les services sur la piste d’Abaoud. En creux, « ce ne sont pas les Marocains qui nous ont donné le terroriste, mais un renseignement anonyme d’une bonne citoyenne »… Khiam, dans son entretien avec la télé belge, revient encore sur cette affaire. « Abaoud, c’est vous ? », demande la journaliste au chef du BCIJ. « Nous avons communiqué à nos collègues français des renseignements qui ont permis sa localisation et sa mise hors d’état de nuire », répond sereinement Abdelhak Khiam. On croira qui on voudra, mais en se fondant sur les résultats, l’approche, le traitement des affaires terroristes…

Qu’un service de renseignement et d’action communique, c’est plutôt rare, surtout en ces temps troubles où la nébuleuse terroriste s’étend partout. La communication fait également partie du dispositif de lutte antiterroriste, et souvent elle comporte des non-dits et des suggestions qu’il est bon de lire correctement. Que Mohammed VI remercie officiellement le BCIJ et la DST pour leur action est aussi une indication sur leur apport à la sécurité du pays. Et ne l’oublions pas, un service de renseignement ne dira jamais plus qu’une infime partie de ce qu’il sait. Alors quand il parle, il est bon de l’écouter.

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