Paris et Madrid pourraient reconnaître leur responsabilité dans l’emploi de gaz chimiques dans le Rif

Paris et Madrid pourraient reconnaître leur responsabilité dans l’emploi de gaz chimiques dans le Rif

Il aura fallu l’activisme insistant de plusieurs associations pour que l’Espagne et la France consentent, enfin, à revenir sur cet épisode tragique de la Guerre du Rif (1921-1926) quand leurs armées, décimées par Abdelkrim Khattabi en 1921, avaient plus tard largué plusieurs centaines de tonnes de gaz chimiques sur le Rif. Les conséquences s’en font toujours ressentie, un siècle après, et les deux pays ont demandé des enquêtes approfondies sur cela. Détails.

Les faits.

1921 : Bataille d’Anoual, 5.000 combattants d’Abdelkrim Khattabi écrasent 60.000 soldats espagnols, en tuant 12.000. 1924-1926 : Plus de 500 avions espagnols et français larguent quelque 400 tonnes de gaz de combat sur les montagnes du Rif. 1926 : Abdelkrim Khattabi est défait et exilé.

Activisme associatif marocain.

Près d’un siècle plus tard, des associations amazighe se lèvent et demandent réparations à l’Espagne et à la France. Leur argument ? 80% des adultes et la moitié des enfants soignés à l’hôpital d’oncologie de Rabat viennent du nord, et seraient les descendants des personnes contaminées par les gaz d’ypérite entre autres.

D’autres militants attirent l’attention sur la possible dégradation de l’environnement, consécutif à l’agression chimique durant cette guerre, qui serait la première du genre dans l’histoire de l’humanité.

Réaction de Paris et de Madrid.

En avril dernier, saisi par un courrier d’une association de la région, le président François Hollande transmet la demande de réparation à son Secrétaire d’Etat des Anciens combattants, relevant du ministère de la Défense, lui demandant d’enquêter sur cette période et les armes qui avaient été alors utilisées contre les populations du Rif.

Le 16 juin, le roi Felipe accuse à son tour réception de la lettre à lui adressée par une association rifaine, et la Maison royale des Bourbons  transfert la demande au ministère des Affaires étrangères, pour suite à donner. Selon l’agence de presse espagnole EFE, « la lettre du palais royal demande une révision de textes historiques pour reconnaître cette responsabilité et, d'une manière plus directe,...

accorder une aide matérielle pour le financement d’hôpitaux dans la région (Nador et al Hoceima) aux fins de traiter et soigner les personnes qui ont supposément hérité de problèmes de santé suite à ces bombardements ».

Que réclament les associations ?

Les différentes associations –  l’Assemblée mondiale amazighe, l’Association Amezyan, l’Association de défense des victimes du gaz toxique dans le Rif – demandent une réaction en deux temps.

D’abord une reconnaissance officielle de ce qui est aujourd’hui considéré comme crime de guerre, à savoir l’utilisation d’armes interdites lors d’opérations de combats. Les réactions du président Hollande et du roi Felipe sont un premier pas vers cette reconnaissance. Mais il faudrait un texte officiel pour cela, et ce n’est pas encore acquis.

Ensuite, des réparations… Elles prendraient la forme d’une action matérielle, comme la construction d’hôpitaux pour soigner les cas de cancers diagnostiqués et qui seraient dus à des « héritages » génétiques des populations de leurs aïeux contaminés, mais aussi d’une action technique, pour traiter les sols. Les séquelles sur l’environnement n’ont jamais pu être répertoriées mais le bombardement aéro-chimique a transformé les villages, des sortes d’oasis auparavant, en rochers arides, sans compter les déforestations et l’épuisement prématuré des sols qui a occasionné une cascade d’effets mécaniques sur les écosystèmes de la région du Rif.

Mutisme du gouvernement marocain.      

Tout cela est effectué dans l’admirable mutisme du gouvernement marocain. Laisse-t-il faire en agissant en coulisses ? Se désintéresse-t-il de la question ? Nul ne sait, sauf peut-être Abdelilah Benkirane et Salaheddine Mezouar, chefs du gouvernement et de la diplomatie.

Contrairement à l’Algérie, qui demande agressivement des excuses pour l’occupation française, le Maroc a toujours su arrondir les angles, et ne pas chercher à « humilier » les anciennes puissances coloniales. Si, au vu de la nature des relations prévalant aujourd’hui entre Rabat d’une part, Madrid et Paris d’autre part, le gouvernement émet une demande officielle d’assistance financière et technique, la France et l’Espagne pourraient favorablement y accéder.

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