La polémique enfle autour du film de Nabil Ayouch, une plainte en justice déposée

La polémique enfle autour du film de Nabil Ayouch, une plainte en justice déposée

« Much loved », ou « zin li fik » en VO a été vu par un nombre très restreint de personnes que déjà les boucliers des conservateurs sont levés et les glaives des modernistes s’affûtent. Les uns décrient le caractère pornographique de la production, les autres préfèrent voir dans ce film une description d’une réalité certes dérangeante mais bien vraie, et récusent le diktat des premiers et leur entrave à la liberté artistique et à la liberté d’expression.

Projeté à Cannes lors de la quinzaine des réalisateurs, « Much Love » a reçu des critiques plutôt louangeuses de la part des médias français, mais au Maroc, les passions s’enflamment. Interrogé par la chaîne France24, le réalisateur est bien conscient que le sujet qu’il a traité est problématique et sait bien qu’il ne passera pas aussi facilement dans l’opinion publique marocaine.

Nabil Ayouch explique et s’explique

Ayouch commence par tordre le cou à des informations qui circulent de plus en plus, à savoir que les actrices sont des prostituées : « Non, ce ne sont pas des professionnelles du sexe ; nous les avons choisies parce qu’elles connaissent bien ce milieu et qu’elles y vivent, à travers leurs sœurs, leurs cousines qui exercent ce métier ». Le réalisateur explique également qu’ « il n’y a pas de scènes pornographiques dans la production, mais réalistes, à l’exception d’une seule scène où l’on voit des corps nus. Pour le reste, il n’y a rien de ce que vous dites… Si j’avais fait un film sur les finances, j’aurais été dans les banques et autres établissements financiers et les endroits où les financiers agissent. Là, nous avons un film sur le sexe, et il est naturel que l’on donne la parole au sexe ».

« Les termes sont crus, des mots qui choquent. Etait-ce nécessaire ? », demande la journaliste. « Et vous auriez voulu que je les fasse parler comme des poétesses ? Je les ai laissées s’exprimer comme elles le font dans leurs quotidiens. Quand vous voyez une production américaine sur le même thème, vous avez les mêmes phrases, et cela ne choque personne. Pourquoi les Arabes doivent-ils donc rester sur une autre planète et être choqués par des gros mots dans ce genre de films ? Il faut arrêter l’hypocrisie ».

Nabil Ayouch explique également que « le Maroc étant un pays où la liberté d’expression existe réellement, il n’y a eu aucune entrave au tournage, bien que nous autres, artistes, devons connaître nos limites et, à partir de là, les repousser ».

A la question de savoir si le film serait, ou non, diffusé au Maroc, le réalisateur dit que c’est là son « vœu le plus cher. C’est un film pour les Marocains. Il relate une partie du quotidien du Maroc et je serai très déçu s’il est interdit. Je ferai tout ce que je pourrai pour qu’il ne le soit pas ».

Plainte en justice

De son côté, et forte de la vague de désapprobation que suscite déjà le film, alors que bien peu l’ont vu, l’association marocaine de défense du...

citoyen a pris sur elle d’aller en justice, pour réclamer une décision judiciaire contre cette production qui, dit-elle, « nuit directement à Marrakech et à ses femmes et, plus généralement, au Maroc et à ses femmes aussi ». L’association a saisi le parquet de la Ville ocre pour enquête sur le réalisateur Nabil Ayouch et l’actrice principale Loubna Abidar.

L’association dénonce le fait que « Much Love » incite à la débauche et à la prostitution avec des gens du Golfe, à des fins financières et conteste également le langage jugé ordurier employé tout au long de la production.

Selon des informations provenant de sites d’informations de Marrakech, le parquet a donné une suite favorable à cette plainte en demandant à la police judiciaire de procéder à une investigation préliminaire sur la base des articles du Code pénal qui portent sur l’atteinte à la pudeur et à la prostitution.

Réactions

La journaliste Fatema Ifriqi a expliqué que lors de la demande de subvention pour son film, Nabil Ayouch n’avait présenté à la commission aucune scène ou passage du film comportant des mots vulgaires ou des propos portant atteinte à la pudeur. Pour elle, citée par Alayam24, « la demande de subvention« a été refusée en raison de l’indigence de la trame et du scénario, mais ainsi est Ayouch, il compense ses manquements cinématographiques par la provocation ».

Pour a part, l’artiste peintre Mahi Binebine estime que « Much Loved (je l’ai vu) est un regard porté avec une tendresse infinie sur quelques jeunes femmes au triste destin, un regard juste, humain, loin du misérabilisme, sans langue de bois ni faux-semblants. Un film d’amour en somme, pas au sens où ses détracteurs incultes l’entendent ; ceux qui ne produisent rien, qui n’existent que par des aboiements sur les réseaux sociaux en faisant leurs combats de « salonards ».

Et l’intellectuelle et écrivaine Mouna Hachim de renchérir : « Nous sommes une société frappante d’hypocrisie et de schizophrénie, préférant à défaut d’affronter nos réalités laver le linge en « famille » plutôt que de le voir exposé, en pleines lumières, à l’international… Combien de familles vivent de la prostitution de leurs filles, dispersées à travers le monde ; combien sont dotées de pièces d’identité avec la mention « Artiste », la danse du ventre comme prélude ? (…) Nabil Ayouch représente un aspect de la société marocaine et non le Maroc, pourquoi devrait-on se sentir insulté? En revanche, nous avons le droit de ne pas aller le voir, de critiquer sur des bases objectives ses réalisations et prouver que nous sommes une société mûre et responsable(…)Ceci dit, personne ne doit enlever le droit à quiconque de produire en fonction de ses passions, ses obsessions, de ses centres d’intérêts, de ses fond de commerce au nom de la sacro sainte liberté d’expression ; de la même manière, tant qu’on est dans le cadre de la loi et de la bienséance, personne n’a le droit de nous empêcher de dire ce qu’on en pense ».

 

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