(Billet 876) – En marge des « affaires » Rachid Mbarki et Abdessamad Nasser

(Billet 876) – En marge des « affaires » Rachid Mbarki et Abdessamad Nasser

Lorsque, à l’étranger, il se produit quelque chose contre le Maroc, cherchez l’Algérie, ou Alger, et dans une grande partie des cas, on la trouvera. C’est certes un peu facile, mais il se trouve que c’est le cas. Les joutes diplomatiques sont devenues habituelles entre les deux pays, les deux Etats et même les deux sociétés ; nos diplomates (quand ils sont accrédités) sont outillés pour y répondre. Ailleurs, là où il n’y a personne de chez nous, c’est bien simple, le Maroc prend des coups, perd des points et parfois, des positions. Aujourd’hui, les journalistes.

En janvier, le journaliste franco-marocain Rachid Mbarki, présentateur vedette du journal sur BFMTV, est suspendu, puis licencié pour faute grave, abus de confiance et corruption passive. On sort le grand jeu, commission interne, puis commission d’enquête parlementaire, et dans la foulée reportage télé intitulé « les mercenaires de la désinformation », etc… La France met les moyens, ses gens attaquent en meute, et on brandit la tête de Rachid Mbarki, victime expiatoire sacrifiée sur l’autel de « l’amitié franco-marocaine ». Il avait prononcé, le fou, le malheureux, l’expression « Sahara marocain » (le reste des accusations importe peu) !

Cette semaine, c’est au tour du journaliste vedette lui aussi, mais sur al Jazeera, Abdessamad Nasser d’être licencié. Son tort ? Avoir attaqué dans un tweet la télé publique algérienne qui raconte dans un sujet que « le Maroc prostitue ses jeunes, vit dans la débauche, et devient le plus grand corrupteur d’Afrique », entre autres amabilités. M. Nasser est sommé de retirer son tweet, une fois, deux fois, et face à son refus, motivé par sa liberté d’expression sur un support extérieur à sa chaîne, il est licencié. Mais cette fois, pas d’expiation, les relations entre Doha et Rabat n’étant pas en cause. Il semblerait que cela soit un règlement de comptes internes à al Jazeera et une lutte de clans (Algérie vs Maroc) où Alger a encore gagné.

De quoi tout cela est-il le nom ? D’une guerre féroce et implacable que se mènent indirectement le Maroc et l’Algérie, partout, sur tous les fronts sauf (heureusement) le militaire.

On peut dire, à juste titre, que le Maroc avance à sa vitesse, de plus en plus grande, et que l’Algérie vit dans sa très maladive obsession anti-marocaine, et on aurait certainement raison. Mais il se trouve que dans cette rivalité, Alger marque des points. En France, les rapports entre les deux Etats étant ce qu’ils sont, et l’attitude antifrançaise croissante au sein de l’opinion publique marocaine facilitent la tâche des Algériens dans leur guerre contre le Maroc. Pas besoin de pétrodollars, la « rente mémorielle » aggravée par l’amateurisme désinvolte du président Macron suffisent ; les Algériens ont leurs gens partout, y compris au sein de l’Etat profond français.

Au Qatar, sur le continent africain, dans les chancelleries, les ministères, les organismes supranationaux de sport...

ou d’autres domaines, les militaires algériens et leur créature présidentielle ont ouvert au maximum la vanne de dollars, déversant des fortunes partout, sur tout le monde, tout le temps.

Le Maroc ne fait pas le poids. Il perd du terrain. Après l’affaire Abdessamad Nasser, les différents organes corporatismes nationaux (association des éditeurs ANME, syndicat de la presse SNPM) sont montés au créneau. Ils s’insurgent, ils condamnent, ils menacent d’actions futures qu’ils mèneront, mais tout cela ne mènera pas large si l’Etat ne soutient pas. Comment ? Par le lobbying encore une fois, par une présence plus marquée, par une attitude plus martiale, par des contacts plus soutenus, en mobilisant nos organes et organismes, nos diplomates, … bref, tout le monde.

Il est bien possible que des discussions aient lieu officieusement entre officiels marocains et qataris, que des explications soient apportées par le gouvernement de Doha (qui n’oublie certainement pas le mois de juin 2017…), mais publiquement, nous cédons du terrain, nous reculons.

Ce qu’il manque au Maroc dans cette guerre médiatique, ce sont de grands médias, forts, puissants, qui se projettent en Afrique ou ailleurs, qui servent et soutiennent les ambitions géopolitiques du royaume. Aujourd’hui, il semblerait que le gouvernement ait saisi cet enjeu, engagé qu’il est dans une profonde refonte du secteur des médias. Mais engagera-t-il les moyens financiers et humains adéquats pour pouvoir peser à l’extérieur de nos frontières ? A-t-il mené la réflexion stratégique globale nécessaire pour défendre le pays, ses ressortissants à l’étranger et ceux engagés sur différents fronts en Afrique ou en Europe, et même en Amérique ? Met-il les moyens qu’il faut, là où il se doit, pour le combat qui s’impose ? Réponse dans les prochaines semaines, voire mois. Ou pas.

Dans l’affaire Abdessamad Nasser, l’Etat marocain agira au Qatar, cela ne fait pas de doute, Doha et Rabat sont et demeureront amis, il serait inutile, improductif, peut-être même inepte de penser le contraire. Pour Rachid Mbarki, rappelons que BFMTV appartient à Altice Media, propriété de Patrick Drahi, qui détient également I24 News, laquelle vient de s’installer au Maroc. là aussi, il ne semblerait pas qu’il y ait de fritures sur la ligne entre le groupe et le Maroc, malgré des banderilles plantées parfois par la chaîne israélienne.

La question des journalistes sanctionnés et de ceux qui risquent de l’être à l’avenir est à placer d’abord et avant tout dans le contexte de la rivalité Alger-Rabat. Alger n’a pas d’idées ni de RH mais elle a des dollars, beaucoup de dollars ; Rabat n’a pas d’argent mais peut et doit s’appuyer sur ses puissants réseaux, qui doivent donc être nourris, alimentés, renforcés. Ils doivent être peuplés d’ « immortels », sitôt remplacés si évincés.

Et que le « spectacle » continue et, dans l’attente, toute notre solidarité et amitié avec Rachid Mbarki et Abdessamad Nasser !

Aziz Boucetta