(Billet 849) – De la force de l’opinion publique

(Billet 849) – De la force de l’opinion publique

Il est loin le temps où les Marocains craignaient d’aborder les problèmes politiques ou de discuter des questions judiciaires, se contentant de subir les évènements en chuchotant leur opinion, toutes fenêtres fermées, se méfiant des murs, dotés d’oreilles. Aujourd’hui, ils expriment leurs idées et exposent leurs griefs, haut et fort, et ce sont les décideurs qui se sont équipés d’oreilles pour entendre, et agir, voire réagir. Ou à leur tour subir.

Cette semaine, l’opinion publique a eu la double satisfaction d’observer l’évolution de la classe politique, sortie de son quant-à-soi et de la justice se départissant de son entre-soi. Cela fait plusieurs mois que la population est soumise à l’épreuve du feu inflationniste qu’elle conteste sans explications politiques convaincantes et depuis deux semaines, l’opinion publique est agitée par la très injuste et triste légère sentence prononcée contre les trois violeurs d’une mineure de 11 ans, désormais mère de famille.

1/ Jeudi 13 avril, la politique. La majorité parlementaire actuelle est un attelage composé de trois partis, et pour faire fonctionner l’ensemble, un pacte de la majorité avait été entériné par les trois éléments, avec plusieurs étages, gouvernemental, partisan, parlementaire, régional. Mais on n’en sait pas plus, du fait que la communication n’est pas la valeur cardinale et la vertu première de cette majorité. Quelques ministres qui s’expriment, essentiellement PAM et Istiqlal, et c’est tout.

Or, les problèmes s’amoncellent, l’opinion publique s’interroge puis, face à pas de réponse, s’énerve et la colère commence à suinter dans les rues. Aussi, cette semaine, une réunion de la majorité a été programmée et s’est tenue au siège du RNI. Sous forme de show certes, avec modérateur et toussa mais c’est mieux que rien, c’est un bon début.

Et le chef de la majorité, du gouvernement et du RNI, Aziz Akhannouch, a même parlé devant les caméras et des journalistes. C’est dire l’effort, mais un effort perfectible, car un chef de gouvernement doit pouvoir affronter les problèmes et se confronter aux journalistes et aux citoyens s’il le faut, répondant aux questions et se montrant rassurant face aux questionnements ; ce qu’il n’a pas (encore) fait. Mais l’évolution est là, même lente, même poussive, car cela faisait tout de même des mois que les gens demandaient à entendre leur chef de l’exécutif.

Avec cette « quasi-conférence », nous y sommes presque… la prochaine étape,...

avec un petit effort, devrait être une prise de parole du chef du gouvernement à l’adresse de la population ou une conférence de presse, une vraie, et cela sera d’autant plus facile aujourd’hui que les hausses de prix des denrées alimentaires semblent avoir atteint un pic, et certains prix sont même durablement redescendus.

2/ Vendredi 14 avril, la justice. La cour d’appel de Rabat a corrigé le très curieux et même révoltant jugement prononcé contre trois trentenaires accusés de viol en réunion et répété sur une fillette de 11 ans, devenue mère à 12. Deux ans dont les trois quarts avec sursis. Immense tollé au sein de la société, indignation des uns, colère de tous les autres et montée aux créneaux de bien des associations de défense des mineurs et/ou des femmes.

Puis les choses se sont accéléré, avec la programmation très rapide du procès en appel, qui s’est passé tout aussi rapidement. A peine 36 heures entre l’ouverture et le prononcé de la sentence. Il faut croire que les éléments à charge étaient indiscutables et encore moins défendables. 10 ans de réclusion criminelle pour deux des trois violeurs, 20 ans pour le troisième, père de l’enfant né de ces coupables étreintes.

Pour autant, les choses ne doivent pas s’arrêter là car le problème est qu’au royaume du Maroc, au 21ème siècle, des juges ont convenu de la culpabilité pour viol en réunion et plusieurs fois sur la personne d’une mineure de trois personnes, et que ces trois personnes ont écopé de peines très légères. Les avoir acquittés aurait sans doute été moins grave que prononcer leur culpabilité et les envoyer en prison pour quelques mois, car un acquittement peut toujours être défendu, pour manque de preuves. Mais décider de la culpabilité d’un violeur et, pour diverses raisons, le condamner très légèrement est une faute morale.

 

Deux faits, donc, marquant la présence d’une société civile qui observe et critique, d’une opinion publique qui condamne et s’impose. Mais deux faits qui ont mis directement aux prises les populations avec tantôt la classe politique tantôt le système judiciaire, hors des corps intermédiaires qui brillent voire inquiètent par leur absence. Aujourd’hui, en plus d’inciter les institutions défaillantes à se ressaisir, l’opinion publique devra pouvoir également demander, et obtenir, des comptes. Sans doute au prochain arrêt…

Aziz Boucetta