(Billet 507) – Les enjeux du nouveau quotient électoral

(Billet 507) – Les enjeux du nouveau quotient électoral

La Chambre des représentants a donc voté vendredi dernier plusieurs dispositions concernant l’élection de ses membres. Parmi les articles les plus commentés, voire controversés, figure celui qui définit le quotient électoral sur la base des inscrits, et non des votants comme cela se fait à peu partout dans le monde. Un mode de calcul au pire démocratiquement hérétique, au mieux incontestablement atypique, mais le Maroc est-il véritablement typique ?

De la réponse à cette question se profile une certaine logique, difficilement défendable certes, mais logique quand même. La démocratie, c’est principalement l’expression de plusieurs sensibilités idéologiques, qui doivent donc en principe être représentées dans l’institution législative, qui elle-même détermine la majorité gouvernementale.

Or, dans notre pratique politique, il y a des partis, beaucoup de partis, mais pas autant d’idéologies, remplacées chez nous par les ambitions personnelles, voire économiques. Pour autant, la démocratie, c’est aussi l’évitement de l’hégémonie absolue d’un parti sur les autres. Or, puisqu’il existe un vide intellectuel assez préoccupant au sein de nos formations, le Maroc ne peut rester indéfiniment sous la férule incertaine du PJD. Que reproche-ton à ce parti ? Ce que Driss el Azami el Idrissi a magistralement montré dans une vidéo qu’il a enregistrée en conduisant sa voiture : un clanisme déroutant (c’est nous contre les autres, tous les autres) et une prise en tutelle du « peuple » au prétexte de le protéger.

Contre quoi, contre qui ? On n’en saura rien de plus. Près de dix ans après son arrivée à la chefferie du gouvernement et plus de cinq ans après sa conquête des grandes villes, force est de constater que cette « protection du peuple » est d’abord et avant tout politicienne, puisque le bilan du PJD après deux mandats reste à préciser, et à convaincre. Les défenseurs du parti diront que c’est parce qu’ « on ne les a pas laissés travailler ». Fort bien, dans ce cas, un parti qui se respecte s’en va de son propre chef et retourne dans l’opposition. Pour la proximité, la pratique communale, on a vu… à Rabat, Casablanca, Tanger, Marrakech, Fès (ville de M. el Azami el Idrissi), quels sont ces projets initiés, adoptés, mis en œuvre et achevés par les maires PJD ? Leur politique communale se résume aux aides apportées aux populations : mariages, funérailles, baptêmes, assistances...

diverses… en vue des élections.

Après dix ans au gouvernement, quelle est la politique africaine du gouvernement PJD ? Quel est son positionnement face aux grands défis géopolitiques où le Maroc s’inscrit désormais ? Où va sa priorité, à Taza, Gaza ou Brazza ? Quel est son apport dans la question de la parité dont la loi vivote toujours dans des couloirs ou des tiroirs en forme de mouroirs ? Quelles sont ses idées en politique budgétaire, monétaire ? Autant de questions, et plus encore, restées sans réponse, et c'est valable aussi pour les autres partis !

Aussi, une fois entériné ce nouveau mode d’élection, unique au monde et aujourd’hui très inquiétant, deux cas peuvent se présenter : un rapprochement du carré de tête (PJD, PAM, Istiqlal, RNI) en termes d’élus, ce qui rendrait le pays ingouvernable, chaque parti revendiquant la légitimité… ou un nivellement par le bas, avec 20 partis ou plus au parlement. Une forme d’ « union nationale parlementaire », qui placerait le pays dans une situation tout aussi ingérable, surtout si "l'armée électorale de réserve" et ses 9 millions de personnes inscrites et qui ne votent pas, votent cette fois, compliquant d'autant plus la situation.

Dans l’un ou l’autre des cas, ce nouveau quotient pourrait se montrer utile si et seulement si les partis nettoient leurs écuries d’Augias, et confient les investitures à des personnes compétentes, engagées, audacieuses et entreprenantes. On éviterait ainsi la prime à la médiocrité que le nouveau mode de calcul du quotient implique et souligne, mais c’est insoutenablement naïf de croire à cela.

Et dans les deux cas, la voie sera ouverte à un amendement de l’article 47 qui impose au chef de l’Etat de choisir le chef du gouvernement au sein de la première formation politique en termes de députés. Cet amendement fera glisser cette condition du premier parti à celle du premier bloc. Avec ce système, aucun parti ne pourra plus se proclamer « parti d’élite, sur de lui-même et dominateur ».

Ce à quoi nous avons assisté vendredi dernier, médusés et attristés, voire même consternés, ne semble en réalité être qu’un prélude à une évolution constitutionnelle dans un proche avenir. Mais pour l’instant, le nouveau quotient ne passe pas, ou passe pour ce qu’il est, une hérésie démocratique.

Aziz Boucetta