(Billet 464) – Le CCG s’agite… le Maroc agit

(Billet 464) – Le CCG s’agite… le Maroc agit

Nous sommes en juin 2017, le monde se réveille et avant même de s’ébrouer, apprend que l’Arabie Saoudite et ses amis des Emirats Arabes Unis, ses affidés du Bahreïn et ses obligés d’Egypte ont rompu toutes leurs relations avec le petit et richissime confetti qu’est le Qatar. Depuis cette date, et avec la présidence Trump et le très versatile et ombrageux Mohamed Ben Salmane, les choses ont évolué.

Agissant au départ comme des sicaires du président américain dans sa guerre contre l’Iran, les quatre chefs d’Etat ont brutalement rompu leurs relations diplomatiques, économiques et commerciales avec Doha, accusé de parrainer des mouvements islamistes et d’être proche de Téhéran, l’ennemi confessionnel et culturel des Arabes du Conseil de coopération du Golfe (CCG).

Dans cette affaire, tout est question d’échanges… La coalition arabe de 2015 avait lancé son offensive sur le Yémen pour y guerroyer contre les Houthis et, indirectement, lutter contre l’hégémonie de l’Iran dans la péninsule arabe. En 2017, Donald Trump jaillit et encourage ses jeunes amis MBS et l’Emirati Mohamed Ben Zayed à poursuivre leur politique hostile à l’égard de l’Iran. Et c’est avec l’assentiment, du moins muet, de Donald Trump que les quatre pays œuvrent aimablement à étouffer le petit émirat, lequel assentiment, avec de solides ventes d’armes, a favorisé plus tard le rapprochement des Emirats Arabes Unis et de Bahreïn avec Israël. Et n’oublions pas le massacre à la tronçonneuse du journaliste saoudien Jamal Khashoggi sur ordre de MBS, fort heureusement pour lui protégé à bras le corps par un Trump qui a déclaré lui avoir « sauvé la peau » à cette occasion ! Ce qui est exact.

Et comme tout est question d’échanges, et qu’aux Etats-Unis les présidents changent, il faudra s’attendre à des évolutions, et la première vient de s’affirmer. Hier donc, dans un coup de théâtre dont les Arabes son coutumiers, on annonce la grande réconciliation de Ryad et de Doha, abrazos humides à l’appui.

Et le Maroc, dans tout cela ? Il aura joué de main de maître… tenant le juste équilibre entre les « frères », expédiant des vivres au Qatar isolé et œuvrant simultanément à rester autant que possible en bons termes avec le très irritable MBS. Nous sommes à une période où le Maroc est engagé dans la coalition internationale contre Daech...

et aussi dans la douteuse guerre au Yémen, mais aussi à la veille d’une période où les pays du Golfe ont sensiblement ralenti les versements de leurs dons annuels à Rabat.

Dans l’intervalle, le Maroc s’est investi en Afrique, y a engrangé bien des acquis et gagné des points dans l’affaire du Sahara. En Afrique de l’Est, il se trouve en concurrence directe avec l’Arabie Saoudite qui escompte faire de cette zone son pré-carré sur le continent, et une tête de pont vers le reste de l’Afrique ; son bras armé est, entre autres, le géant Maaden, en compétition avec le géant marocain OCP en Afrique de l’Est et, plus récemment, dans la zone d’influence marocaine à l’ouest africain.

Le 3 novembre, les choses ont changé, Joe Biden est élu, et MBS est très sérieusement secoué par l’arrivée à la Maison Blanche d’un homme qui avait affirmé vouloir jeter toute la lumière sur l’affaire Khashoggi… et comme par ailleurs, les relations Arabie Saoudite/Emirats Arabes Unis ne sont pas aussi étroites qu’il y paraît, chacun des deux pays poursuivant une logique particulière et une politique d’abord nationale, le Maroc pourrait trouver une fenêtre de tir et pousser ses pions vers Doha et Abu Dhabi, dans l’attente de voir l’évolution psychique, physique, politique et dynastique de MBS.

Celui-ci a en effet franchi un pas que le Maroc pourrait difficilement oublier, celui du fameux et modérément habile reportage de février 2019 de sa télévision d’Etat sur le Polisario, alors même que les Emirats Arabes Unis ont ouvert plus tard un consulat à Laâyoune et se retrouvent avec le Maroc dans leur politique mauritanienne et dans leur normalisation avec Israël.

Le Maroc, bien campé sur ses pieds en Afrique et qui n’a toujours pas félicité Joe Biden, joue aujourd’hui la Chine et les Etats-Unis, l’Afrique et l’Europe, Qatar et ses anciens nouveaux amis du CCG, certains l’étant plus que d’autres. C’est la déclinaison dans les faits du discours de Ryad en avril 2016, dans lequel le roi Mohammed VI expliquait le maintien des anciennes alliances, en les élargissant à d’autres partenariats, nouveaux, reflétant les évolutions des contextes géopolitiques mondiaux.

Les enjeux sont considérables mais le jeu en vaut la chandelle. Seul problème, le renforcement du front intérieur marocain, sur le plan économique.

Aziz Boucetta