(Billet 442) – L’armée est dans nos murs !

(Billet 442) – L’armée est dans nos murs !

Comme en Prusse jadis, plusieurs armées aujourd’hui « possèdent » un Etat, un Etat godillot… mais, grâce à Dieu, la plupart des Etats du monde restent dans la norme d’une armée dans les casernes. Dans notre région maghrébine, le Maroc appartient à cette seconde catégorie mais, plus encore, fait partie de cette poignée d’Etats qui, à travers le monde, ont vu évoluer le rôle de leur armée.

Dans une contribution aux analyses effectuées à l’aune de la crise sanitaire Covid-19, le Policy Center for the New South (PCNS) consacre un article à l’armée marocaine et l’évolution de son rôle dans les dernières décennies. Cette armée, connue sous le nom de Forces armées royales, est aussi ancienne que l’Etat marocain, et elle a investi avec le temps plus d’espace(s), au sein de la société. Il est loin le temps où l’armée secouait les microcosmes politique et social, comme les soubresauts violents et meurtriers de 1971 et de de 1972 quand, dans un intervalle d’à peine 13 mois, les généraux avaient mené des coups de force ayant pris la forme de coups d’Etat, finissant en coups de poker ratés.

Quarante ans plus tard, les Marocains se sont habitués à voir leur armée, leurs soldats, dans les rues, sans s’inquiéter outre mesure. Cela a commencé avec l’opération Hadar (montée pour contrer la menace Daech) dont les éléments sont entrés dans le décor quotidien de nos villes : deux soldats lourdement armés, encadrant un policier (ou un gendarme), sillonnant les rues, devisant paisiblement entre eux, mais l’œil aux aguets. Pourquoi un policier ou un gendarme avec ces soldats ? « Parce qu’au Maroc, un soldat en uniforme et en armes ne parle pas à la population civile », répondait un militaire de haut rang.

Dans cette étude du PCNS (page 15), Rachid Houdaïgui dresse le constat suivant : « Le champ  conceptuel  couvert  par  la  guerre  n’est  plus  strictement  militaire  à  partir  du  moment où les états-majors politico-stratégiques l’ont étendu à un nombre croissant de sphères ; on parle ainsi de la guerre économique, de la guerre de l’information, de la guerre contre le terrorisme, de la guerre biologique, ou encore de la guerre cybernétique ». Or, qui dit guerre pense inéluctablement à la défense, et l’armée, après plusieurs décennies de formations diverses de...

ses cadres, sort de son cadre classique pour investir d’autres champs, économique, sanitaire, sécuritaire, diplomatique, cybernétique… et recherche scientifique.

R. Houdaïgui décrit donc l’évolution de l’armée marocaine, passée de son rôle traditionnel de protection des frontières à celui de garante de la sécurité intérieure dans les missions et opérations de contre-terrorisme ou de lutte contre la criminalité organisée. C’est entre autres « Hadar », mais aussi les sorties en haute mer pour contrer les narcotrafiquants venus d’un peu partout pour s’infiltrer en Europe, via le Maroc, considéré comme maillon faible et éventuelle porte d’entrée sur le Vieux continent. Grossière erreur.

Puis, face à la menace digitale et aux contraintes de cyberdéfense, l’armée royale s’est engagée dans la technologie de pointe, en soutien et en renfort aux structures civiles, plus classiques, incarnées par la police, prise dans son acceptation la plus large. L’armée dispose donc de structures de surveillance numérique, contrant les intrusions agressives externes qui peuvent toucher à tous les domaines digitaux et spatiaux. Il ne faut pas oublier que nous avons un voisin remuant, dont le chef d’état-major pense en son for intérieur que le Maroc est un « ennemi », ainsi qu’il l’a récemment déclaré.

Enfin, avec la crise Covid-19, nous voilà avec l’armée et les blindés dans les rues, mais aussi avec les blouses blanches militaires dans les hôpitaux de campagne. Le maintien de l’ordre classique assuré par le ministère de l’Intérieur se voit donc renforcé par la présence de soldats casqués et masqués dans leurs transports de troupes blindés, le tout parfaitement accepté par une population qui, au lieu d’être médusée, en est vaguement amusée. Quant aux médecins galonnés, leur présence aura marqué la lutte anti-Covid.

Une autre, et dernière, fonction de l’armée marocaine est de se projeter à l’extérieur de ses frontières, tant dans les opérations de maintien de la paix, où le Maroc est un des grands pays contributeurs de l’ONU, que dans l’accentuation du soft power du royaume. Les médecins militaires multiplient les hôpitaux de campagne un peu partout dans le monde, essentiellement en Afrique et au Moyen-Orient.

La dernière crise de Guergarate montre également que l’armée royale sait encore faire ce pour quoi elle a été initialement créée : défendre les frontières nationales quand elles sont menacées. Le Polisario en a fait tout récemment l’amère expérience…

Aziz Boucetta