Le Maroc face à la pandémie Covid-19 : de la confiance à l’inquiétude

Le Maroc face à la pandémie Covid-19 : de la confiance à l’inquiétude

Les données présentées dans ce Policy Brief portent sur la perception, par la population marocaine, de la pandémie Covid-19 et des politiques publiques qui tentent de la juguler. Elles sont tirées d’une enquête réalisée par le Policy Center for the New South sur la base de 3 vagues de sondage réalisées par IPSOS Maroc en juin, juillet et septembre 2020. Cette enquête s’inscrit dans  le cadre du programme de recherche « Attitudes Towards Covid-19 », réalisé avec un consortium de partenaires académiques internationaux (Sciences po, Harvard Business School, Bocconi University, notamment)1. Ce programme vise à comparer les données recueillies dans 8 pays européens, 7 pays africains dont le Maroc, ainsi que le Brésil, le Canada, les Etats-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande2.

Au début de la pandémie, les Marocains ont salué l’intervention du Roi Mohammed VI pour mobiliser le pays contre la pandémie. Ils ont, également, salué les orientations données au gouvernement pour soutenir les populations vulnérables et l’économie nationale, ainsi que les Instructions données aux Forces Armées Royales (FAR) pour épauler les autorités sanitaires avec la logistique de santé.

Les 3 vagues de sondage réalisées dans la présente enquête donnent des indications sur la période qui va de la fin du confinement (juin) à la deuxième quinzaine du mois de septembre. L’analyse de ces 3 vagues montre que les Marocains affichaient, à la fin du confinement, une confiance dans la gestion de l’épidémie menée par le corps médical et les institutions régaliennes (Police et Gendarmerie) et dans les mesures mises en œuvre pour y faire face. Les Marocains avaient, en outre, des craintes encore relativement limitées pour l’avenir sanitaire du pays, mais déclaraient, toutefois, avoir  des inquiétudes  à propos des retombées économiques de la pandémie. Dans la période qui    a suivi (de juin à la deuxième quinzaine de septembre), la confiance dans    les institutions est demeurée forte. Mais les doutes sur l’efficacité des mesures prises et, plus largement, l’inquiétude face à l’avenir, ont grandi au fil des semaines. Cette évolution se retrouve dans d’autres pays, au gré des résurgences d’une pandémie qui persiste et fait de plus en plus sentir ses effets sanitaires, économiques, psychologiques et sociaux.

Une enquête sur le Maroc en trois vagues : juin, juillet et septembre 2020

L’enquête repose sur une analyse des réponses fournies à un même questionnaire dans les trois vagues. L’échantillon constitué pour chaque vague est représentatif de    la population marocaine âgée de plus de 18 ans en termes d’âge, de genre, de région d’origine et de profession3. Le questionnaire a été soumis en ligne ou par téléphone. Les questions posées portent sur la perception de la pandémie, de ses conséquences présentes et à venir et des politiques publiques mises en place pour y faire face.

Les trois vagues de sondage ont été réalisées à des moments clés de la pandémie dans le pays : la période de fin du confinement (vague de sondage 1, en juin), les débuts    du déconfinement (vague de sondage 2, en juillet) et, enfin, la deuxième quinzaine de septembre (vague de sondage 3), durant laquelle la pandémie a repris au Maroc de manière importante.

Le mois de juin: une confiance marquée dans les institutions et les groupes impliqués dans la lutte contre la pandémie

L’enseignement majeur qui ressort de la première vague (juin 2020) est la confiance que les personnes interrogées affichent, juste avant la fin du confinement, vis-à-vis des institutions impliquées directement dans la lutte contre la pandémie ainsi que dans     les mesures prises par les autorités pour la combattre. Des inquiétudes pour l’avenir économique et une forme de mal-être se manifestent, toutefois, également, dans ce contexte difficile.

La confiance dans le corps médical (civil et militaire) et les institutions régaliennes (Police et Gendarmerie), tout d'abord, se donne à voir avec netteté dans les données collectées. Ainsi, 91% des personnes interrogées déclarent faire « tout à fait confiance » ou « plutôt confiance » aux « scientifiques » ; 86 % formulent le même avis à propos des

« médecins » ; et 71 % à propos des « policiers et des gendarmes ». La confiance à l’égard des « chefs traditionnels », ou encore des élus, comme les « maires », se situent, quant à elles, respectivement, à 41% et 47%.

Degré de confiance dans les groupes

Les mesures prises par le gouvernement semblent globalement approuvées, en juin, par les personnes interrogées : 87% d’entre elles se disent « tout à fait favorables » ou « plutôt favorables » à un « confinement général », 86% à « l’instauration d’un couvre-feu et d'un contrôle des déplacements par la police et la gendarmerie » , 90% à la « fermeture des écoles et universités », 88% à la « fermeture des commerces non-indispensables » et 92% à « l’interdiction des déplacements non-indispensables ».

 

L’adhésion à ces mesures va de pair avec une évaluation positive de « l’action du gouvernement » dans la gestion de la crise sanitaire – 81% des personnes interrogées se disent « tout à fait satisfaites » ou « plutôt satisfaites » – et, dans une moindre mesure,

de « l’action du Chef du gouvernement » : sur une échelle de satisfaction graduée de 0 à 10, 24% des personnes interrogées affirment avoir un degré de satisfaction évalué entre 0 et 3, 43% entre 4 et 6 et 24% entre 7 et 10.

Les réponses données dans cette première vague témoignent, également, d’une inquiétude relativement modérée à l’égard de la situation sanitaire à venir : 68 % des personnes interrogées considèrent qu’elles n’ont « aucune chance », ou des « chances modérées », d’attraper un jour la maladie ; 76% estiment que les conséquences de la Covid-19 sur la santé au Maroc sont « moyennement graves » ou « pas du tout graves ». Enfin, 62% des personnes interrogées jugent pessimiste5 la prédiction d’un total de 1000 décès causés par la pandémie au Maroc6.

L’inquiétude...

est, en revanche, assez nette à propos de la situation économique. Si les mesures prises par le gouvernement paraissent approuvées dans leur globalité par la population, 36% des personnes interrogées les jugent « plutôt insuffisantes » ou « vraiment insuffisantes » en matière économique ; et 70% des sondés pensent que la pandémie va avoir des conséquences « plutôt graves » ou « très graves » pour l’économie au Maroc. La situation financière des ménages explique probablement cette inquiétude : 40% des personnes interrogées déclarent être actuellement dans l’incapacité absolue de faire face à une dépense de 2000 Dh qu’elles n’auraient pas prévue. Seules 21% considèrent qu’elles le pourraient certainement ou probablement.

Au plan psychologique,  l’enquête  révèle,  tout  d’abord,  que  l’évaluation  globale  de  la qualité de la vie quotidienne, telle qu’elle est déclarée par les sondés, n’est pas radicalement négative durant cette toute dernière période du confinement. A propos du degré de « satisfaction à l’égard de la vie menée », mesuré sur une échelle de 1 à 10, 56% des personnes interrogées l’évaluent entre 6 et 10. Toutefois, un mal-être perceptible se dessine malgré tout dans les réponses dès que l'on entre dans les détails : 67%    des personnes interrogées déclarent avoir vécu durant les deux dernières semaines

« au moins plusieurs jours d’abattement, de dépression ou de perte d’espoir », et 81% « plusieurs jours de diminution marquée d’intérêt ou de plaisir dans les activités ».

De juin à septembre (vague 2 et vague 3) :une inquiétude et une défiance croissantes

A partir du mois de juillet, le nombre de cas de Covid-19 et de décès liés à la maladie ne cesse d’augmenter au Maroc. Corrélativement à cette évolution, la deuxième vague de sondage (juillet) et, plus encore, la troisième (septembre), donnent à voir une baisse de tous les indicateurs de confiance et une augmentation de l’inquiétude des populations interrogées. Cette évolution est d’une ampleur toutefois variable selon les institutions, les groupes et les domaines concernés.

La confiance dans le corps médical (civil et militaire) et les institutions régaliennes (Police et Gendarmerie) baisse légèrement, mais reste à un niveau élevé : 85% des personnes interrogées disent faire « plutôt confiance » ou « tout à fait confiance » aux

« scientifiques » (91% en juin), 79% aux médecins (86% en juin) et 68% aux « policiers et aux gendarmes » (71% en juin). La baisse de la confiance touche également les chefs traditionnels (- 3% par rapport à juin, pour atteindre un niveau de 38% de personnes

« plutôt confiantes » ou « tout à fait confiantes ») et, plus sensiblement, les « maires »   (- 12% par rapport à juin, pour atteindre un niveau de 34 % de personnes « plutôt confiantes » ou « tout à fait confiantes »).

Les mesures prises par le gouvernement après le confinement pour desserrer l’étau des restrictions imposées aux écoles, aux universités, aux commerces et aux déplacements semblent aller dans le sens de l’évolution des souhaits de la population sur ces questions : par exemple, en juin, 90% des personnes interrogées étaient « tout à fait favorables » ou

« plutôt favorables » à la « fermeture des écoles et des universités » ; elles ne sont plus que 55% fin septembre.

Toutefois, l’appréciation globale sur la « gestion de la pandémie par le gouvernement » s’est dégradée. En juin, 81% des personnes interrogées se disaient « tout à fait satisfaites » ou « plutôt satisfaites ». En septembre, elles sont 40% (Figure 5). Et parmi les personnes qui ne sont pas satisfaites, 29% se déclarent « pas du tout satisfaites ».  Il en va de même pour l’appréciation de « l’action du Chef du gouvernement ». En juin, 47% des personnes interrogées en donnaient une évaluation positive ou plutôt positive7. En septembre, elles sont 32% (Figure 5). Et 43% des personnes interrogées affichent un niveau d’insatisfaction élevé.

La perception des aspects sanitaires de la pandémie a également évolué. Le pourcentage de personnes considérant qu’elles n’ont « aucune chance », ou « des chances modérées » d’attraper la maladie a baissé, entre juin et septembre, de 68%     à 55%. Fin septembre, 77% des sondés considèrent que les conséquences de la pandémie sur la santé au Maroc sont « plutôt graves » ou « très graves », contre 24% en juin (Figure 6). Par ailleurs, 37% des personnes jugent pessimiste la prédiction d’un total de 1000 décès causés par la pandémie au Maroc9, contre 62% en juin10.

L’inquiétude à l’égard de la situation économique a également augmenté à partir de juin. 85% des personnes interrogées considèrent en septembre que la pandémie a    des conséquences « plutôt graves » ou « très graves » sur l’économie marocaine, contre 71% en juin (Figure 6). Enfin, 39% des sondés déclarent être actuellement  dans l’absolue incapacité de faire face à une dépense de 2000 Dh qu’ils n’auraient    pas prévue, soit un pourcentage très proche de celui du mois de juin. Seules 21% des personnes sondées considèrent qu’elles le pourraient avec certitude ou probablement.

Au  plan  psychologique,  la  situation  s’est  également  dégradée.  Ainsi,  à  propos  du « degré de satisfaction à l’égard de la vie menée », mesuré sur une échelle de 1 à 10, 49% des personnes interrogées l’évaluent de 6 à 10 en septembre, contre 56% en juin.

La fréquence des manifestations de mal-être reste, quant à elle, à un niveau élevé  entre les vagues de sondage 1 et 3. Ainsi, 70% des personnes interrogées déclarent avoir vécu « au moins plusieurs jours d’abattement, de dépression ou  de  perte  d’espoir durant les deux dernières semaines » en septembre, contre 67% en juin.  Quant à la « diminution marquée d’intérêt ou de plaisir dans les activités durant les deux dernières semaines », elle passe de 81%, en juin, à 80% en septembre. Ces données traduisent une forme d’altération générale durable du sentiment de bien-être.

Narjiss El Bouaamri