(Billet 420) – Le bal’art et la manière d’énerver

(Billet 420) – Le bal’art et la manière d’énerver

A coups de balaghs et de contre-balaghs, bien malin qui pourrait dire finalement, sans réfléchir, sans compter sur les doigts, spontanément, sous quel régime juridique relevant de l’état d’exception sanitaire il se trouve… Les communiqués se suivent et ne se ressemblent pas, les chiffres de l’épidémie se suivent et ne rassurent pas, l’incohérence des décisions se poursuit et désormais indiffère et les Marocains apprennent à vivre avec le Covid et… nos gouvernants impavides.

S’il y a une chose que nous avons effectivement apprise depuis la sortie du confinement, quand les choses étaient plus ou moins bien gérées, c’est que 1/ Il faut toujours attendre une décision qui finit par tomber, 2/ que cette décision advient souvent à des moments totalement inattendus et 3/ elle plaît à certains à déplaît à beaucoup d’autres, puis tout le monde oublie et continue de s’oublier.

Le problème n’est pas dans l’incohérence, car tous les dirigeants de tous les pays pataugent, tiennent leurs gouvernails, jointures blanches et mâchoires serrées, naviguant à vue, parant au plus pressé, tentant le sauvetage des plus menacés… Non, le problème est dans cette fausse assurance, justement, de nos dirigeants, avec leurs sourires convenus de ceux qui savent, qui assurent… pendant que l’économie tombe autour d’eux par petits morceaux. Annoncer en Conseil de ministres, devant le chef de l’Etat, une croissance de 4,8% en 2021 en est un exemple renversant, surtout avec des frontières toujours fermées, de plus en plus d’entreprises qui ferment, et un ciel désespérément bleu !

Alors, notre situation juridique, aux uns et aux autres ? A force de balaghs, on ne sait plus où on en est. Zone 1 ou zone 2 ? A-t-on le droit de quitter une région… pour le droit d’aller où ? Pouvons-nous aller au restaurant ou simplement au café, et pour combien de temps, sous quelles contraintes ? Avons-nous le droit de quitter le pays, et à quelles conditions ? En cas de contamination, nous convoiera-t-on vers un de ces hôpitaux de campagne ou nous laissera-t-on nous enfermer en nos chaumières ? Notre secteur d’activité est-il encore tenable, éventuellement sauvable, potentiellement sacrifiable ? Pourquoi le gouvernement a-t-il cessé de prévenir alors qu’il ne peut même pas guérir ?

Pouvons-nous...

encore croire à notre constitution adoptée à grands renforts de com et vendue comme si elle avait été élaborée par les Pères fondateurs ? Non. Et la justification par la « théorie des circonstances exceptionnelles » avec un tel gouvernement extraordinaire et une classe politique introvertie, c’est beau comme une pyramide. Et c’est précisément par une acrobatie cérébrale tout à fait exceptionnelle que notre gouvernement a décidé l’ouverture de 10.000 mosquées pour les prières, celle du vendredi comprise… alors même qu’ici et là, on revient au couvre-feu, au confinement. Nous avons vu les fidèles collés les uns aux autres, formant des groupes compacts, multipliant les cas contacts.

L’ouverture des mosquées risque d’être en octobre ce que la tenue de l’aïd el-kébir et l’autorisation d’accès aux plages furent en juillet. Attendons-nous donc à une explosion des cas, et peut-être de colère, car les chiffres qu’on donne sont bien en-deçà de la réalité. Pas que nos dirigeants nous mentent, hacha… mais avec une vingtaine de milliers de tests quotidiens, nous sommes loin de là où nous devrions être, surtout quand la Directrice de la Santé de Casablanca, oubliant les règles arithmétiques, annonce « dans les 7.000 prélèvements par jour, avec 30% de positifs », soit plus de 2.000, alors que les chiffres officiels n’en « avouent » que 1.600/1700 dans la Région Casablanca-Settat !

On ne change pas une société à coups de balaghs silencieusement assénés, quand la population a finalement fini par croire en ses libertés individuelles et même collectives… On ne détruit pas des secteurs comme le tourisme ou l’événementiel, fermant les structures d’accueil qui reçoivent quelques dizaines ou centaines de personnes, alors qu’on ouvre des mosquées à des milliers de fidèles !

Mais bien heureusement, notre facétieux gouvernement et nos spécieux dirigeants de partis essaient de nous divertir avec leurs histoires électorales, leurs chiffres de relance et de reprise, leurs vaines et désespérées tentatives de nous convaincre que tout est normal, promouvant l’efficacité et taisant l’austérité… Alors que les balaghs pleuvent, sans respect ni pour l’art d’en faire ni pour la manière de les diffuser, mais dans le strict respect de l’art et la manière d’énerver les gens.

Aziz Boucetta

(Ph.illust. prise par Simo Drissi)