(Billet 397) – Ces débats qu’il reste (sérieusement) à ouvrir…

(Billet 397) – Ces débats qu’il reste (sérieusement) à ouvrir…

Le Maroc est un pays où l’on se bat plus, bien plus qu’on ne débat. La dernière foire d’empoigne concerne la peine de mort, suite à l’assassinat du petit Adnane à Tanger ; sur les réseaux sociaux, et même dans les cafés (du moins ceux qui sont ouverts), des discussions sans fin sur la peine de mort, sur l’enseignement à distance, sur moult questions refont régulièrement surface à chaque fait de société, ou fait divers. Sans résultat.

Ainsi, dans ce royaume qui est le nôtre, on parle beaucoup de droits humains, mais on n’a jamais lancé un vrai débat sur la peine de mort. On cause aussi d’une manière récurrente sur la question de la binationalité, et principalement sur les joueurs de foot, mais ici et là les rancœurs demeurent. On glose enfin sur l’égalité des genres, mais haro sur ceux qui osent remettre en question le statut actuel de l’héritage. Oh, il existe certes, dira-t-on, des problèmes plus urgents, comme le saint triptyque « santé, éducation, emploi » , ce qui est exact, mais les grandes problématiques sociétales, non urgentes, n’en sont pas moins importantes.

Et pourtant une société ne saurait être apaisée que quand tout est mis sur la table sans tabous, que les uns argumentent face aux autres, de manière sereine si possible, et que des recommandations sont émises à la suite de ces débats.

1/ La question de la (bi)nationalité. Etre Marocain seulement, ou ne pas être ; être binational au Maroc… La question a été soulevée voici quelques semaines et… que pensez-vous qu’il arriva ? Rien, chacun est resté campé sur ses positions, personne n’écoutant personne, les plus gentils faisant des sourires affligés et les plus méchants insultant tout le monde. Et pourtant, avec environ 5 millions de Marocains à double nationalité vivant à l’étranger, et un nombre incalculable de Marocains vivant dans le pays, avec une autre citoyenneté, le débat mérite d’être ouvert, solennellement, institutionnellement, paisiblement.

2/ Le thème de la peine de mort. Les uns,...

énervés, réclament la peine de mort contre les tueurs, les violeurs, ceux qu’ils qualifient allégrement de « traîtres »… Les autres, drapés dans leur vertu, n’écoutent que leur raison, laquelle leur dicte qu’un Etat ne doit pas répondre à la violence par la sauvagerie. Qui a raison, qui a tort ? Pour trouver une réponse à cette question qui taraude et qui tourmente, il n’y a rien de mieux qu’un débat entre juristes, défenseurs des droits de l’Homme, politiques (si on en trouve…). Sans irritation ni crispation…

3/ Le (grand) problème de l’héritage. Bon, on est d’accord, c’est un ordre divin, puisque c’est dans le Coran. Mais si un camp soutient et assène que Dieu a rétabli les femmes dans leurs droits car avant, elles n’héritaient rien, le camp d’en face rétorque que soit il y a égalité, et en tout, soit il n’y en a pas, un point c’est tout. Contre l’argument de la transcendance divine, celui de l’égalité citoyenne. Les arguments sont bons ici et là, et faute de trancher, l’impasse demeure.

Poser ces questions, et pouvoir y répondre, impose de commencer par celle-ci : Comment initie-t-on des débats publics dans un pays, avec des chances d’en sortir avec des recommandations ? La réponse en deux temps. D’abord, en laissant, voire en poussant les pouvoirs publics à lancer ces grand-messes réflexives, car on ne voit pas trop qui aurait, en dehors de l’Etat, légitimité à le faire… Ensuite, que les uns et les autres, les spécialistes, les sachants et non les marchands de religion ou autres énergumènes excités que l’on voit sur les réseaux, se rencontrent et causent.

Le Maroc change et doit s’inscrire dans la modernité. Pour cela, il n’existe pas d’autre voie que celle de poser clairement les questions non encore résolues, et d’en parler, rapprochant les points de vue et créant une sorte de communion entre les membres de la société.

L’Etat le veut-il vraiment ? C’est la première et grande question à poser !

Aziz Boucetta