(Billet 396) – Décapitez-le à la hache… puis pendez-le à la hâte !

(Billet 396) – Décapitez-le à la hache… puis pendez-le à la hâte !

Le petit Adnane n’aura pas de rentrée scolaire, ni présentielle ni distancielle. Il est aujourd’hui parti au ciel, froidement assassiné en début de semaine, après avoir subi tous les outrages de la part de son meurtrier, lequel a été arrêté quelques jours après. Les réactions à ce drame montrent encore une fois l’impréparation de notre société à mener des débats et à sortir plus forte de ce type d’affaires, aidée certes en rien par une classe politique aussi inepte qu'inerte.

Alors disons-le, nous sommes aujourd’hui face à une colère numérique, une indignation digitale, par essence éphémères. La mort d’Adnane, aussi abjecte soit-elle, est un fait divers qui sera oublié dans quelques jours. La fureur et le tapage doivent porter contre le laxisme de la loi et de la justice qui, lui, est un fait de société.

L’affaire du petit Adnane intervient en pleine crise du Covid, expliquant ainsi sans doute les commentaires enregistrés sur les réseaux. Les uns s’en prennent à la police, qui aurait tardé à appréhender le présumé assassin, et en profitent pour régler des comptes. D’autres se laissent aller et donnent libre cours à leurs instincts primaires, primitifs. Ils sont les plus nombreux ! L’ambiance générale est à l’inquiétude, un peu à l’anxiété, et donc à l’irascibilité, voire la colère.

Mais voir et entendre ces hurlements à la mort la plus sauvage, lapidation, pendaison sur la place publique, écartèlement, travaux forcés à vie, castration à la hache… et constater les « likes » en forme de petits cœurs tout rouges qui auraient été émouvants s’ils n’appelaient à l’horreur est aussi tragique que le sort d’Adnane (une pensée pour sa famille).  Et en face, voir et entendre les opposants à la peine de mort comparer ses défenseurs au meurtrier présumé est...

également affligeant.

Dénier toute présomption d’innocence à l’individu arrêté ne montre pas non plus une grande maturité juridique et morale (celle de la modernité) de ses auteurs… pas plus que s’invectiver bruyamment entre pro et anti peine de mort ou applaudir tapageusement à ceux qui sont du même bord. Et au final, « tout le monde parle et personne n’écoute » comme disait le Sage.

Lorsqu’un fait divers survient, quel que soit son degré d’abjection et d’ignominie, une société s’y appuie pour avancer, non pour se diviser et s’excommunier, s’insulter et donner libre cours aux plus bas instincts. Les uns et les autres doivent dérouler de bons arguments pour défendre leurs positions, et chacun doit les écouter, à l’exception de celles et ceux qui appellent à la sauvagerie de la vengeance. Or, cette férocité de la part des personnes actives sur les réseaux, supposées être des gens qui interviennent dans le débat public, est symptomatique de notre société, un peu hagarde, égarée, cherchant la vengeance plus que la justice.

Mais on peut comprendre tout cela, car dans un Etat qui se respecte, un crime aussi vil doit certes créer de la houle, une immense indignation de la foule… et aussi, et surtout, une réaction de la classe politique à tous les niveaux, comme ce fut le cas pour feue Amina Filali en 2012 ou encore pour l’affaire Galvan en 2013. Aujourd’hui, en dehors de deux ou trois toussotements, le gouvernement se tait et les partis se terrent, enterrant avec eux, en plus du petit corps du petit Adnane, tout espoir de sortir de ce drame par le haut.

Quand la colère est numérique, l’action ne saurait être que chimérique, et on ne peut en attendre qu’une réédition à l’infini de ces actes.

Aziz Boucetta