(Billet 376) - Le gouvernement avance masqué

(Billet 376) - Le gouvernement avance masqué

Il faut croire qu’un gouvernement, c’est comme une pile, plus il sert, plus on s’en sert et plus rapidement il s’use. D’une équipe dite de compétences en octobre, on ne voit plus que les ombres et les décombres, même si à sa décharge, une pandémie mondiale, violente, inquiétante et inédite est passée par là. Et dans le monde entier, il en va de même, on change les équipes… ou on les changera.

Le 9 octobre 2019, donc, le roi Mohammed VI reçoit le nouveau gouvernement, dit Elotmani II. Deux douzaines de ministres, quelques délégués, beaucoup de relégués, et aucun secrétaire d’Etat. Un groupe ramassé, en ordre de bataille, prêt à en découdre avec les incertitudes et à se lancer hardiment vers un avenir prometteur. Les plans, les programmes, les objectifs chiffrés… que du bon, nous disait-on, et on l’a cru.  Parole de technocrate.

Puis le virus apparut en Chine, y ravagea quelques semaines, avant de s’approcher dangereusement de nous, posant ses couronnes en Italie, puis essaimant dans les environs, France, Espagne… et nous enregistrâmes notre premier cas le 2 mars. Quelques hésitations, quelques tergiversations, et le gouvernement réagit. Suspension des liaisons aériennes, fermeture des frontières, confinement et ralentissement brutal de l’activité économique, prolongement du confinement, de moins en moins finement, et puis la léthargie…

Au début, tout se passait bien, union, communion, solidarité sociale et efficacité gouvernementale. Le fonds Covid est créé, les banques sont mobilisées et les plus démunis indemnisés, dans un déferlement de statistiques mondiales apocalyptiques qui rapportaient, chaque jour, dans notre voisinage immédiat, des milliers de morts. Le Maroc tint bon, et tient toujours… contre le virus.

Des hôpitaux de campagne virent le jour en autant de temps qu’il faut pour obtenir un passeport, le corps médical s’afficha dans toute sa beauté insoupçonnée, l’autorité territoriale se montra sous un jour jusque-là inconnu, le ministère de la Santé devient plus connu et croisa son heure de gloire,...

et Moulay Hafid Elalamy donna la pleine puissance de son savoir-faire et de sa capacité à faire savoir, et même M. Saâdeddine Elotmani était écouté. Tout était beau, on vous dit !

Puis la lassitude, le doute, l’agacement apparurent. Les autorités ont commencé à montrer des signes d’irritation, le ministère de la Santé afficha des dissensions internes, la stricte application des consignes sanitaires montra des failles et le monde de l’entreprise sombra dans quelques fraudes de taille comme sur les déclarations d’arrêt de travail. Puis la zone 1, et la zone 2, et les chiffres qui jouaient au yoyo, de même que les membres du gouvernement, se rejetant la balle, tirant à eux la couverture et annonçant des mesures en strass pour des gens en stress.

Jusque-là, tout est normal. Puis les populations, sorties de leur torpeur, puis de leur peur, commencèrent à réclamer de la visibilité, de même que, surtout, les gens travaillant dans les secteurs sinistrés : tourisme, événementiel, divertissement, cosmétique et esthétique, commerces de proximité… Le gouvernement a annoncé des mesures au jour le jour mais beaucoup de secteurs attendent toujours, et des villes comme Marrakech et Tanger sont toujours en confinement, depuis mi-mars !

Et c’est là que, bien tristement, le gouvernement a commencé à frémir, entre les scandales révélés et les autres, annoncés, les attaques entre partis gouvernementaux, la valse-hésitation sur la déductibilité des dons… et surtout, surtout, les ministres affichent cette singulière attitude de ne pas sembler prendre la réelle mesure du désarroi qui a saisi les opérateurs, les investisseurs, les agriculteurs, les restaurateurs… face auxquels le gouvernement avance masqué !

Et pourtant, à une crise énorme, multiforme et inédite, doivent en principe répondre des mesures tout aussi énormes, hardies, pertinentes, convaincantes, rassurantes… avec cette équipe, ou de préférence avec une autre, expurgée de scandales, imbibée d’audace, pétrie de compétences, sans suffisance. Le Maroc, socialement ébranlé et économiquement affaibli, qui n’en peut plus d’attendre attend toujours.

Aziz Boucetta