(Billet 337) – Technocratie vs démocratie… entre arguties et risque d’inertie

(Billet 337) – Technocratie vs démocratie… entre arguties et risque d’inertie

La gestion des affaires publiques du royaume doit-elle être assurée par des technocrates ou des politiques ? Le débat anime les conversations depuis des années… et depuis des années, on fait avec. Ces dernières semaines, ce sujet est revenu, en force. Il faut dire qu’aujourd’hui, l’urgence est là et personne n’a droit à l’erreur. Le pays doit être remis en marche et le débat ne saurait aujourd’hui être laissé en marge, au risque de ne plus rien avoir du tout, plus tard, quand ce sera trop tar.

Deux sumotoris posent lourdement pied sur la plateforme de combat, s’observent, puis se jettent l’un contre l’autre. D’un côté, Moulay Ahmed Charaï assène dans un éditorial au lance-flamme que le gouvernement est incapable, hasardeux, anxiogène, et qu’il doit, avec sa majorité, s’éclipser deux ans pour faire place à un gouvernement de technocrates qui mettrait le pays sur les rails. En face de lui, la fameuse Mayssa Salama Ennaji, blogueuse rugueuse défend la thèse démocratique en la desservant toutefois par un excès de vulgarité, de raccourcis, de vision apocalyptique et de populisme démagogique, ou l’inverse. Le débat est ainsi ouvert.

Technocratie contre démocratie, en somme… sachant que dans ce 21ème siècle mouvementé, les deux se confondent désormais. Il existe de plus en plus de technocrates dans les partis (puisque ce sont eux qui sont supposés incarner la démocratie) et les partis donnent davantage crédit à la technocratie. Scrutons notre gouvernement actuel de la double douzaine ; hormis deux ou trois profils placés là pour plaire ou satisfaire, les autres sont des têtes bien pleines, et même souvent bien faites. Un gouvernement de compétences, disaient-ils, avec des profils aiguisés, argumentaient-ils… Las, quelques semaines après son installation, le roi a mis en place la Commission Benmoussa faite elle, de vraies compétences.

Puis arrive la Covid-19, brutale, violente, inattendue et inédite, qui a tout figé, économie à l’arrêt et populations calfeutrées. Deux mois et demi de confinement, des pertes abyssales, une croissance négative de 7,8 ou même 10%, sinon plus, des pauvres paupérisés et des classes moyennes tétanisées. Maintenant qu’il faut remettre les choses en marche, pouvons-nous vraiment compter sur le gouvernement ? Le projet de...

loi scélérate 22-20, la supplantation du gouvernement par le comité de veille, le désaveu public du chef du gouvernement par son ministre des Finances sur la levée du confinement, l’abandon de 30.000 Marocains dans le monde… permettent d’en douter et n’augurent pas d’un avenir radieux.

Que dit Mayssa Salama Ennaji ? Qu’il faut redonner de la force aux partis, qu’il faut les investir, y adhérer en masse, et les changer de l’intérieur pour changer le pays. Fort bien, mais au-delà de l’utopie, cela nécessiterait des années… Que dit Moulay Ahmed Charaï ? Un moratoire institutionnel, et non constitutionnel, de deux ans, le temps de réparer le navire, de le mettre à flots, et de lui faire prendre le bon cap.

Nul ne disconviendra que la situation soit exceptionnelle, et par conséquent, pourquoi ne pas envisager une solution provisoire et tout aussi exceptionnelle pour revenir plus ou moins à la normale ? Notre difficulté à mettre en place une structure politique fonctionnelle est extrême parce qu’elle est historique avant d’être politique et donc culturelle plus que structurelle.

C’est le chef de l’Etat qui a lancé le programme de formation professionnelle, c’est lui qui a supervisé l’opération bancaire « Intilaka » et c’est encore le roi, directement ou indirectement, qui a dirigé avec efficacité, crédibilité et surtout lé-gi-ti-mi-té la riposte multidimensionnelle à la Covid-19. Sans cela, le pays aurait pu être submergé par le virus, et les institutions auraient chancelé, voire tangué, ou même se seraient écroulées.

Pour la gigantesque opération de reconstruction économique et financière, sociale voire sociétale qui s’annonce, impérieuse, urgente, globale, le Maroc n’a pas droit à l’erreur, et la tergiversation est une perte de temps, donc une erreur. Si les textes ne sont momentanément plus adaptés au contexte, alors il faut savoir réagir, et vite.

Les deux ans qu’évoque Moulay Ahmed Charaï sont les mêmes deux ans nécessaires à l’action préconisée par Mayssa Salama Ennaji. Et l’équipe qui serait mise en place pour gérer cette urgence peut être contrôlée. Il suffit juste d’y réfléchir, dans une logique d’après-confinement et non pas dégainer par réflexe les arguments, qui semblent désormais éculés, de l’avant. Il y va de l'avenir de la nation.

Aziz Boucetta