(Billet 334) – Est-ce ce gouvernement "chaoscophonique" qui gérera l'après-crise ?

(Billet 334) – Est-ce ce gouvernement "chaoscophonique" qui gérera l'après-crise ?

Le corps se lasse, le cœur n’y est plus et les esprits désormais, doutent…  Il est vrai que le choc est dur et les conditions rudes. Nous en sommes à deux mois de confinement et d’état d’urgence et nous entamons courageusement – et péniblement – les trois autres semaines qui nous ont été « demandées » par le chef du gouvernement, sans aucune assurance ni garantie sur la suite. Entretemps, le sentiment d’incertitude infuse…

Le Maroc a très bien réagi à la pandémie, nul ne peut en douter et tout le monde en convient, s’enfermant à l’intérieur et se fermant à l’extérieur. L’Etat n’a pas lésiné, renonçant à ses impôts, dédommageant à tour de bras, distribuant de l’argent à gros bouillons tout en œuvrant à renforcer en catastrophe un système de santé depuis des années catastrophé.

Tout cela a un coût, qu’on devinait élevé, avant que le ministre des Finances Mohamed Benchaaboun ne le révèle : 1 milliard de DH par jour de confinement, soit au total 90 milliards de DH, soit une perte de croissance de plus de 7%... pour commencer, car ce n’est qu’un début. La récolte céréalière étant ce qu’elle est en raison d’une pluviométrie de plus en plus capricieuse tirera le PIB vers le bas, de même que le tourisme, entré en soins intensifs. Cafés et restaurants fermés, événementiel à l’agonie, transferts des Marocains du monde en chute libre, tissu entrepreneurial fortement ébranlé…

Mais en dépit de tout cela, disons-le : au début de la crise, le gouvernement a fait ce qu’il a pu et même davantage ! Mais ne nous y trompons pas, le plus dur est à venir. Casser quelque chose est généralement facile et rapide, la reconstruire nécessite du temps, des efforts, de la concentration, de la communion, du sérieux, et de la communication. Or, que voit-on à la place de cela ? La « cacophonie silencieuse » du gouvernement…

Lundi, Saâdeddine Elotmani était au parlement pour un discours très attendu. Il est donc venu, a vu, et n’a ni vaincu les angoisses ni convaincu les esprits. Et pourtant, il aura essayé. Se montrant très pédagogique et se voulant sûr de lui, son annonce de prolongement du confinement de trois semaines a fait grincer dans les chaumières. Pourquoi trois et pas deux ? Et alors que les Marocains se torturaient les...

méninges pour trouver une logique à cette décision, voilà que Mohamed Benchaaboun surgit le lendemain et demande la reprise du travail des entreprises dès après l’aïd. Emoi général. Le ministre organise alors une réaction, dans laquelle il dit ne pas avoir voulu dire ce qu’il a pourtant dit, et que le chef du gouvernement n’a aucunement dédit. Ambiance.

L’état d’urgence, lui, avait été annoncé par le ministre de l’Intérieur le 20 mars, son prolongement par le gouvernement le 18 avril, et sa prolongation par le chef du gouvernement, le 18 mai. M. Amzazi vient de dévoiler la date du bac, une quinzaine de jours avant… M. Benabdelkader a raté une occasion de se taire en voulant museler les réseaux sociaux et M. Ramid a oublié ce que signifie la solidarité gouvernementale… Mme Fettah a émis une idée de projet de loi sur le secteur du tourisme, mais a disparu dans l’intervalle… M. Aït Taleb est un peu plus visible, mais il manque de mordant… M. Bourita ne sait plus à quel saint se vouer ni sur qui se défausser, concernant les dizaines de milliers des nôtres en voie de clochardisation matérielle, et surtout mentale, à l’étranger. Une petite information a été donnée sur les Marocains de Melilla, mais le gouvernement n’en a soufflé mot, laissant la presse espagnole énervée informer les Marocains désemparés et les « exilés » éprouvés par cette situation qui coupe la faim et ruine le sommeil.

On savait notre gouvernement hétérogène ; cette crise l’aura montré hétéroclite, disparate, dispersé. Le gouvernement semble égaré, et ses membres hagards. On comprend, tout le monde l’est. Sauf que c’est à ce gouvernement qu’il reviendra de relancer une économie (presque) à l’arrêt et une société atterrée. Cette crise, la pire survenue de mémoire d’homme ici et ailleurs, est aussi un moment de vérité institutionnelle dans notre pays.

Le gouvernement gouverne-t-il, M. Elotmani en est-il le vrai chef et les ministres travaillent-ils en synergie ? Si oui, qu’ils le montrent tous et agissent en conséquence, mais dans le cas inverse, qu’ils cèdent la place. La crise (et ses conséquences à venir) est trop sérieuse et importante pour continuer nos jeux habituels et les Marocains qui ont payé et paieront encore un lourd tribut, ont besoin d’avoir un interlocuteur réel et crédible.

Aziz Boucetta