(Billet 327) – Y a d’la joie !

(Billet 327) – Y a d’la joie !

En dehors des mesures, politiques, décisions et autres dispositions, et au-delà des fake news et de leurs cortèges de démentis, un autre phénomène est apparu, plutôt négligé en ces temps moroses de sinistrose : l’humour, la joie, la bonne humeur. Dans tous les pays du monde, les populations confinées se laissent aller à l’humour et cherchent le bonheur, mais dans tous les pays du monde, les Etats n’ont pas pris la mesure de cela. Au Maroc non plus, où on peut être efficace sans être lugubre !

Trop sérieux, les Etats en deviennent ennuyeux. Les ministres se succèdent sur les écrans, en costumes sombres avec des cravates sombres, arborant des mines de plus en plus sombres. Des types bardés de diplômes, jusque-là inconnus, viennent également tous les soirs à la télé et égrènent des chiffres de morts, causent morbidité, glosent sur la comorbidité, abandonnent leurs certitudes et suintent visiblement d’inquiétude. Ils s’appellent Jérôme Salomon en France, Anthony Fauci dans la Grande Amérique, Mohamed Elyoubi sous nos cieux et tous, en concluant leurs bafouilles, le visage ravagé, nous laissent mûrir cette vague, diffuse et angoissante sensation qu’ « on va tous crever ».

Ensuite, ce sont les économistes qui s’affichent sur nos écrans, tchatche intacte et suffisance en bandoulière, anxiogènes à souhait. Des centaines de milliers d’entreprises en banqueroute, des systèmes financiers en déroute et des millions de chômeurs laissés sur le bord de la route. Ils débattent et rivalisent d’imagination et de références historiques pour nous convaincre que, finalement, « on va tous crever »… Un philosophe serait plus amusant !

Le Covictionnaire de la pandémie : morts, réanimation, soins intensifs, détresse respiratoire, faillites, ruine, appauvrissement (parfois c’est paupérisation pour faire savant), krash boursier… on en regretterait presque les Le Pen, Salvini et Barbe Rousse Abou Naïm… Ils sont certes dangereux, mais souvent rigolos.

Et sur ces entrefaites, arrivent ceux qu’on attendait plus : les peuples, les gens, vous et moi, les sans-grade, les sans-culottes, les sans illusions, mais aussi les sentinelles de la joie et de la bonne humeur. Caricatures et dessins, messages, montages, doublages, parodies… tout y passe, dans un jaillissement de créativité et un bouillonnement d’imagination. De l’excès à outrance sans que...

pour autant, cette fois, l’excessif soit insignifiant. Il est au contraire très signifiant, et même inspirant. Le rire, en effet, comme le décrivait Bergson, remplit une fonction sociale, puisqu’elle aide à se libérer de sa propre angoisse en se moquant de soi de façon collective.

Mais il y a, au-delà du rire, la joie, simple naturelle qui libère aussi des angoisses… Apporter de la joie est une mesure totalement ignorée par nos gouvernants, d’ici et d’ailleurs. Désinfecter à tour de bras, distribuer de l’argent à gros bouillons, monter des lits et hôpitaux en des temps records… c’est très bien, ça rassure, mais sans plus. A quoi servirait-il de déconfiner une population stressée et oppressée, aussi défiante que méfiante ?

Alors, faut d’la joie, et sans traîner !... Et la joie passe par les bonnes nouvelles. Reconnaissons à l’Etat qu’il fait ce qu’il peut, et même plus, mais attendons de lui davantage. Oh, il ne nous fera pas rire, il n’est pas là pour cela et au demeurant, il ne saurait… mais qu’il procure de la joie et du bonheur dans les chaumières tétanisées. Une grande réconciliation générale, qui passerait par la libération des détenus qui le méritent (et qui aurait le mérite de désengorger les prisons), par la libération des gens du Rif (trois ans en prison devraient suffire…), et bien sûr, bien évidemment, par une solution à nos 27.000 compatriotes qui suffoquent à l’étranger, puis à nos milliers d’étudiants qui suffoqueront plus tard, toujours à l’étranger, et enfin à nos MRE qui auront perdu leur emploi.

Entre mars et mai, les Marocains, même les plus rétifs à cette idée, ont découvert l’existence d’un Etat fort, mais cette fois-ci dans le bon sens du terme. Un Etat fort qui mériterait de continuer à multiplier les grands gestes et les petites attentions. En décidant des mesures parfois difficiles, notre Etat mobiliserait autour de lui la population et éloignerait les crispations. Mais il doit penser au bonheur, aussi…

A notre gouvernement, à notre Etat, à tous nos gouvernants, quels qu’ils soient et où qu’ils puissent être, de grâce, donnez-nous de la joie, du bonheur. Vous nous avez assurés et rassurés… faites-nous plaisir, car nous tous, vous et nous, le valons bien désormais !

Aziz Boucetta